Peu d’enthousiasme chez les féministes sur les promesses de 40% de femmes dans l’administration Lamothe

23/05/2012
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 Alors que le président de la République, Joseph Michel Martelly, et le nouveau premier ministre, Laurent Salvador Lamothe, se donnent un satisfecit pour être les premiers à avoir nommé 7 femmes ministres dans un gouvernement qui compte 22 ministres, l’enthousiasme n’est pas débordant dans le camp des militantes et militants féministes du pays, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.

 
« Après la nomination des secrétaires d’État, nous serons à 40% de femmes. Les femmes ont demandé 30%, nous leur donnons 40 % » a déclaré Martelly à l’installation du cabinet ministériel de Lamothe le mercredi 16 mai 2012.
 
Le quota, juste pour faire joli ?
 
Le quota de femmes dans un gouvernement est une recommandation internationale pour considérer un minimum de participation des femmes.
 
« C’est un minimum, ce n’est pas un plafond », précise Danièle Magloire, sociologue, militante féministe et membre de l’organisation de femmes Kay Fanm (Maison des femmes).
 
« Le quota de 30% au moins est un moyen d’arriver à la parité. Et c’est possible », souligne Magloire, en se référant au cas du nouveau gouvernement français du nouveau président socialiste (issu du second tour du dimanche 6 mai 2012) François Hollande et du premier ministre Jean-Marc Ayraul qui compte 34 ministres et ministres délégués (dont 17 femmes et 17 hommes).
 
La question du quota en faveur des femmes est « une tentative de la démocratie libérale de résoudre son problème de légitimité. Ce qui ne résoudra pas le problème politique essentiel et fondamental, posé par les féministes en termes d’émancipation humaine de la femme », analyse Julien Sainvil, professeur de sociologie politique à l’Université d’État d’Haïti (Ueh).
 
Sainvil, qui détient une maitrise en sciences politiques de l’université Paris 8 (France) en genre et politique, voit dans le quota une volonté de « récupération, d’instrumentalisation du mouvement des femmes. Car, là où ces expériences sont réalisées, elles aboutissent à l’affaiblissement de la capacité revendicative du mouvement féministe ».
 
C’est « une arme à double tranchant », soutient, pour sa part, Michaëlle Desrosiers, travailleuse sociale, militante féministe, apparemment consciente du caractère « épineux et polémique » du débat sur les quotas.
 
« Le quota est un outil réformiste qui n’apporte pas de changements significatifs dans les conditions de vie des bénéficiaires. Il contribue, certes, à réduire les inégalités, mais son rôle principal c’est de renflouer les rangs des élites. Les contradictions fondamentales, productrices des dites inégalités, sont intouchées par les quotas », continue-t-elle.
 
Michaëlle Desrosiers, qui est aussi membre du groupe des féministes pour l’émancipation humaine (Gfem), met en garde contre ces « mesures accommodatrices » qui peuvent contribuer à couper le souffle des luttes sociales par la constitution de nouvelles élites.
 
Plus de femmes… mais la mâle attitude
 
« Le plus important, ce n’est pas la présence des femmes. Il faut surtout voir l’orientation du gouvernement sur les questions sociales, économiques et sur l’État de droit », considère la sociologue Danièle Magloire.
 
Pour Desrosiers, « la présence [de ces] femmes dans un gouvernement d’extrême droite - bien que populaire - traduit la vision et le positionnement idéo-politique et économique de ces dernières à l’heure de l’extrême ouverture d’Haïti aux investisseurs liés aux néo-colons ».
 
Évoquant le « patriarcat de l’État haïtien », c’est-à-dire un État dont les « normes, les règles sont constituées sur la logique mâle », Sainvil pense que « ces 7 ministres femmes sont choisies, juste pour incarner les normes de masculinité du pouvoir. Autrement dit, on amène des femmes à défendre le pouvoir des hommes ».
 
« Les femmes ne sont pas au pouvoir » lâche-t-il.
 
Ce que semble attester Danièle Magloire. Car, « il s’agit [pour ce gouvernement] de faire la façade ».
 
C’est pourquoi il faut se demander « qu’est-ce qui est fait pour que cela continue ? Ces femmes ne seront-elles pas discriminées une fois en poste » ?, s’interroge Magloire.
 
« Il doit y avoir des mesures d’accompagnement et des politiques publiques bien définies », exige Magloire.
 
L’État patriarcal ne fait pas de cadeau, ajoute le sociologue politique Sainvil.
 
En ce sens, les femmes seront véritablement au pouvoir « quand elles s’organisent politiquement pour [y] accéder, car le pouvoir politique n’est pas un espace de revendications, mais d’opérationnalisation des décisions politiques », signale Sainvil.
 
Pour rompre avec la domination, la lutte féministe « ne peut se permettre de se cantonner dans la lutte pour la visibilité des femmes », comme semblent la réduire Martelly et Lamothe, selon les déclarations de Michaelle Desrosiers, qui souligne que « les femmes seront les principales victimes de l’Haïti d’affaires ou de l’Haïti des zones franches ».
 
Depuis son accession au pouvoir le 14 mai 2011, Martelly ne cesse de claironner « Haïti is open for business » et de promettre de créer des milliers d’emplois dans les zones franches industrielles (pas moins de 40 sont envisagées).
 
Le nouveau premier ministre, Laurent Salvador Lamothe, est le chantre d’un programme dénommé "la diplomatie d’affaires", qui chercherait à créer des couloirs diplomatiques pour l’investissement étranger.
 
Les femmes sont majoritaires, parmi les travailleurs qui vivent au quotidien, dans des conditions infrahumaines, dans les parcs industriels.
 
Des enquêtes menées par Ayiti Kale Je (Akj, consortium médiatique dont fait partie AlterPresse) ont mis à nu cette réalité. [1]
 
Ce sont « les femmes appauvries des quartiers populaires et de la classe travailleuse, en général, qui vont être le porte-fardeau de l’économie de zones franches » de l’administration Martelly/Lamothe, estime Michaelle Desrosiers.
 
Il semble que même le ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (Mcfdf) perd de sa mission fondamentale transversale de « s’assurer que les femmes soient prises en compte dans les espaces du pouvoir en particulier et de la vie nationale en général » pour se réduire à une question de « petit commerce », critique la militante Magloire.
 
Jurant de ne pas laisser le pouvoir politique « instrumentaliser » le mouvement des femmes, Magloire ne peut que se révolter que la ministre du Mcfdf, Yannick Mézile, ait décoré, le 8 mars 2012, la femme du président, Sophia Saint-Remy Martelly.
 
« C’est risible et ridicule. Depuis quand Sophia Martelly a-t-elle défendu la cause des femmes » ?, se demande Magloire.
 
Les femmes-ministres et le mouvement des femmes en Haïti
 
« Je ne les connais pas ! », lâche, à propos des nouvelles ministres, Danièle Magloire, militant depuis plus de 25 ans pour le respect des droits de la femme.
 
« Elles n’incarnent aucune valeur féministe », lance Julien Sainvil, qui a rencontré une très grande partie de militantes féministes dans le cadre de la recherche de terrain pour sa thèse de maitrise en genre et politique.
 
« Ces femmes [ministres] ne viennent pas du monde des organisations de femmes. Au fait, elles ne sont connues comme militantes sur aucune question sociale », explique Magloire, en soulignant son étonnement de la présence de Marie Carmelle Rose-Anne Auguste dans le gouvernement.
 
Rose–Anne Auguste, qui a été membre de la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (Cirh) à titre d’observatrice de la société civile, « collaborait, parfois, avec certaines organisations de femmes ».
 
De toutes façons, « ce n’est pas parce qu’on est femme qu’on s’intéresse automatiquement à la problématique des droits de la femme. Il faut une conscience politique », rappelle Magloire.
 
22/5/2012
 
Source:  Alterpresse  www.alterpresse.org
https://www.alainet.org/fr/articulo/158172
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