Entretien avec le philosophe équatorien Atawallpa Oviedo Freire

Nous vivons dans une société de cloître

09/06/2020
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Atawallpa Oviedo Freire
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Dans votre livre, la Société du Cloître, parlez-vous de ce que nous vivons actuellement avec le confinement ?

 

Tout à fait. Je l'ai publié il y a 1 an, alors que je ne savais rien à propos de la pandémie, mais je savais déjà que nous vivions depuis longtemps en confinement, que j'ai défini comme un enfermement de type cloître de plein gré. L'enfermement actuel confirme et consolide ce que nous vivions déjà, maintenant il ne fait que le normaliser consciemment et le légaliser plus clairement. Actuellement, il a atteint un nouveau niveau et un nouveau perfectionnement, mais ce n'est pas quelque chose qui vient d'émerger et qui soit une conséquence du coronavirus. La cause n'est pas le virus. La pandémie n'a fait que mettre en évidence le confinement déjà existant, qui devient une nouvelle norme pour ceux qui n'étaient pas au courant. Autrement dit, pour tout le monde.  Bref, il n'y a pas de nouvelle normalité, ni de monde après la pandémie; seules la poursuite, l'approfondissement et l'expansion de l'ancien emprisonnement, anciennement appelé esclavage, aujourd'hui le capitalisme, qui en fin de compte sont les mêmes, et seules les méthodes et les niveaux d'utilisation et d’usufruit du travail humain et de la nature varient.

 

Pourquoi de cloître, pourquoi cette association ?

 

Ce confinement devient similaire au confinement que certains religieux font dans les cloîtres. Personne ne les oblige à s'enfermer, ils le font volontairement car ils considèrent que de cette façon ils servent mieux leur dieu. Et l'humanité fait de même, dans le grand cloître mondial où le capitalisme a converti  la planète entière. Ce que nous appelons la Terre est maintenant un cloître mondial. Tous adorant le dieu moderne : le marché. Même l'ancien homme-dieu des religions est consommé pour enrichir les églises, qui ont toujours fait de leur dieu la grande entreprise. De plus, maintenant vous devez payer pour entrer dans les églises catholiques. L'argent est le dieu qui résout tout. Le marché est le dieu du bien et du mal.

 

Mais, si la pandémie disparaît, il n'y a plus de confinement ?

 

Si le covid 19 est contrôlé, cela ne signifie pas que l'emprisonnement disparaît, mais qu'il sera plus réel et même exigé, sous prétexte qu'il existe d'autres dangers. En fait, la pandémie était le grand prétexte que les élites ont trouvé pour normaliser ou naturaliser le confinement qui existait déjà, et que les gens ignoraient. Maintenant, ils le savent, mais ils l'acceptent volontairement, convaincus que c'est pour leur bien ou pour leur bienfait. La pandémie n'a été que le moyen d'accélérer le processus graduel d'enfermement déjà en cours, et seule une retouche a été nécessaire pour qu'il soit assimilé et accepté par tous. Pour qu'ils croient que c'est le "nouveau monde" après le confinement, et que la faute en revient au virus et non au capitalisme. Les « terroristes » politiques, religieux, étrangers, criminels et pauvres sont les virus potentiels ; de qui il faut s'éloigner et chacun doit s'enfermer dans sa force privée. L’auto-encloîtrement, c'est l'acceptation volontaire de ce nouveau style de vie comme juste, convenable et positif.

 

Certains philosophes disent qu'un État contrôlant arrive, qu'il surveillera tout ce que nous faisons, qu’en pensez-vous?

 

Je ne suis pas d'accord avec ces philosophes, à qui les médias occidentaux accordent beaucoup de crédit, qui pensent que l'État vigilant est la nouvelle situation. Ce n'est pas l'État, c'est le marché celui qui observe tout, celui qui sait comment tout vendre, même ce dont vous n'avez pas besoin et ce que vous ne voulez pas, vous faisant devenir un acheteur compulsif. L'État lui-même n'est plus l'appareil de contrôle, il a été essentiellement réduit à l'appareil militaire et judiciaire, puisque le grand appareil de contrôle est le marché globalisé. Pour cette raison, la droite ne s'intéresse plus à un grand État comme dans les temps des rois et du capitalisme initial, elle n’a besoin que de l'État minimum pour légaliser et instrumentaliser le marché comme nouvel appareil de domination. Chacun vit pour consommer, son seul sens de la vie est de consommer. Le dieu de la consommation est plus que l'État. Le marché n'a plus de drapeau, de nationalité, ni d'État. Et cela ne changera pas, seules les forces répressives auront plus de pouvoir. Partout dans le monde, les budgets nationaux pour l'éducation, la santé et le logement diminuent ; mais ils augmentent les forces de confinement.

 

Pensez-vous que les grandes entreprises du Big Data savent déjà tout sur chaque être humain ?

 

C'est comme ça. Le rêve d'Abraham que le troupeau soit contrôlé par Big Brother a été réalisé. Maintenant, les contemporains d'Abraham ont déjà les outils technologiques pour cela, ils savent tout sur chaque être humain, à la limite ils savent combien de battements de cœur chaque personne a. Si vous le savez, vous savez tout sur la vie d'une personne, d'une famille, d'un groupe, d'une société. La société panoptique est maintenant une réalité plus claire, tous gardés comme dans un cloître et chacun adorant le nouveau dieu qui prend soin de sa vie, les virus dangereux de toutes sortes qui se cachent partout. Tout est normal. Tout est bien. Merci.

 

Vous-dites dans votre livre que l'homme actuel est le plus grand esclave de toute l'histoire, pourquoi ?

 

La peur a toujours été utilisée comme la meilleure arme pour manipuler les peuples, aujourd'hui la peur de la pandémie est utilisée pour que tout le monde s'enferme, et ces hommes confinés sont censés être libres dans le grand cloître et dans le cloître personnel. L'esclavage perfectionné à son apogée. Tous les esclaves modernes se croient libres et acceptent avec reconnaissance d'être séquestrés dans le cloître, travaillant à enrichir Big Brother. Cette société est la plus esclave de toute l'histoire humaine parce qu’il ne sait pas qu'elle est esclave ; car le fait de vivre enfermé, séquestré, de télétravailler, est considéré comme normal dans la société panoptique du cloître.

 

Quand est née cette société?

 

La société actuelle n'est pas née avec le capitalisme, mais a émergé dans le patriarcat il y a environ 6000 ans et maintenant seulement on expérimente sa plénitude. Les différentes étapes, selon le marxisme, de l'esclavage au féodalisme, de là au capitalisme, en passant par le socialisme et enfin le communisme, sont les étapes de la perfection de l'esclavage. Dans les premiers jours de l'esclavage, les esclavagistes et les bourreaux étaient nécessaires, puis ils n'étaient plus si nécessaires, d'autres moyens plus subtils ont été trouvés, jusqu'à ce que, cette fois-ci, chacun s’impose ses propres chaînes ou dépendances, fait pression sur lui-même et se punit, à tel point que certaines personnes meurent de surcharge de travail en raison de la pression qu'elles subissent (karoshi). Avant et maintenant, tout le monde travaille pour enrichir quelques rois, aujourd'hui pour un petit groupe de millionnaires qui sont à la tête de la pyramide, les riches et les grands managers, inclus dans cette servitude, déroulent le tapis rouge aux magnats qui son le 1% et qui lâchent des miettes selon les couches sociales. Aujourd'hui, tout le monde s'incline pour leur rendre hommage, les remercie d'avoir pris soin des différents virus et, en corollaire crie ¡ Vive la Liberté !.

 

Où peut-on trouver votre livre ?

 

Pour le moment c'est sur amazon, en espagnol. Ironiquement, c'est le seul moyen pour les écrivains de diffuser nos œuvres à travers le monde. Bientôt il va sortir en français, on est en train de régler les derniers détails.

 

- Régine Chiffe est artiste et écrivaine française

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/207123
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