Le football durant la pandémie : reflets sociologiques

Des visages divers, une équipe multiculturelle

06/08/2020
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El festejo del campeonato suizo
Foto: arcinfo
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Berne, Suisse.- Avec sa victoire de 3 à 1, dans la soirée du 3 août, contre le deuxième de la compétition, le Young Boys (YB) de Berne a obtenu son troisième titre consécutif dans la Super League nationale. La diversité des couleurs de peau et des cultures sur le terrain est toujours sa marque distinctive. La lutte active du club et de ses supporters contre le racisme n’est ni nouvelle, ni un effet de mode, elle date d’il y a 25 ans.

 

C’est ainsi que s’est terminé le championnat le plus complexe et le plus long dans l’histoire du football suisse, en raison du COVID-19, après la pause obligée de quatre mois, du 23 février au 19 juin.

 

Le maillot spécial de ce 14e titre en 122 ans d’histoire synthétise une saison atypique, marquée par la crise, la pandémie et l’incertitude. Il arbore le dessin d’un petit fantôme sur la manche. Les gagnants se dénomment « champions fantômes » (Geister-Meister), en référence aux parties jouées durant les six dernières semaines, au début absolument sans public et durant les dernières journées avec un maximum de 1'000 spectateurs.

 

Durant le dernier mois et demi, le grand stade du Wankdorf à Berne ressemblait beaucoup à un antre fantasmagorique. Avec une capacité de 31'000 spectateurs confortablement installés, il a abrité en juillet et août 2020 une poignée de supporters par match - choisis par tirage au sort -, un nombre restreint de journalistes dûment accrédités, ainsi que les joueurs et les conseillers techniques des deux équipes. Tous, sans exception, devaient remplir un formulaire de déclaration sous serment pour y accéder.

 

Ainsi, en raison de la pandémie, l’énorme masse de ciment – l’un des stades du championnat européen de 2008 – s’est transformée en un petit espace villageois, seulement amplifié par les transmissions directes de la télévision.

 

Une équipe multiculturelle

 

Avec 32 buts marqués durant la saison, Jean-Pierre Nsame – attaquant central de Young Boys – a battu le record du meilleur buteur de la Ligue de tous les temps. Ce Camerounais – et Français- de 27 ans, avec un avenir quasi assuré dans l’une des grandes ligues européennes, est l’expression même de la multiculturalité de l’équipe champion dans son ensemble.

 

Sur les 18 joueurs inscrits sur la feuille officielle du match du premier lundi du mois d’août contre Saint-Gall – deuxième du championnat, avec huit points de moins que YB -, neuf ont la peau noire ou cuivrée, africains ou doubles nationaux.

 

Pour cette saison, une dizaine de joueurs de l’équipe de YB sont d’origine étrangère et à la peau sombre. Parmi eux, le Français – originaire de l’île de La Réunion – Guillaume Hoarau, étoile internationale, chanteur populaire et ancien joueur du Paris Saint-Germain (PSG) ; l’attaquant congolais Elias Meschack ; le défenseur guinéen Mohamed Ali Camara ; Nicolas Moumi Ngamaleu, habile joueur camerounais du milieu de terrain ; ainsi que l’Ivoirien Roger Assalé, un puissant attaquant prêté ces derniers mois au Leganés espagnol, un club venant de descendre en seconde division.

 

Aussi à la peau sombre, mais double nationaux, intègrent l’équipe champion le défenseur Ulises García (Suisse-Cap Vert) et son compagnon à l’arrière, Jordan Lotomba (Suisse-République Démocratique du Congo) qui vient d’être transféré en France. Tout comme le défenseur à l’aile droite Saidy Janko (Suisse-Gambie) et le joueur du milieu de terrain Marvin Spielmann (Suisse-République Démocratique du Congo). Avec un passeport européen, mais à la peau foncée, le Luxembourgeois Christopher Martins Pereira et le talentueux attaquant Félix Mambimbi, âgé d’à peine 19 ans, Suisse d’origine africaine.

 

Quatre autres joueurs de la première équipe sont Européens : Jordan Lefort (Français), Frédéric Sörensen (Danois), Gian Luca Gaudino (Allemand-Italien) et Miralem Sulejmani (Serbe).

 

Pour sa part, l’entraîneur Gérardo Seoane, qui a conquis son second titre professionnel, est double national et appartient à la seconde génération – « secondo » comme on les dénomme dans la nation helvétique -, d’origine espagnole.

 

La diversité, berceau de l’antiracisme

 

Dans cette série de prénoms et de noms de famille divers, d’origines aussi exotiques que lointaines, de passeports aussi variés que multiples, les joueurs de l’équipe de YB, titulaires de la seule nationalité suisse, constituent une minorité.

 

Il n’est pas surprenant que Young Boys, avec des sportifs aussi divers (plus de 12 nationalités), reflète la situation d’un pays à forte présence étrangère, puisque comptant actuellement 30 % d’immigrés dans sa population.

 

Cela explique, d’une certaine manière, le discours antiraciste promu depuis des années, aussi bien par le club que par des associations de supporters spécialement organisées pour combattre ce fléau social. Depuis 1996, le groupe Gemeinsam gegen Rassismus (Ensemble contre le racisme) des supporters de YB impulse un travail de sensibilisation actif sur ce thème. La lutte contre l’homophobie est aussi présente dans le Wankdorf.

 

Au début du mois de juin, lors des larges mobilisations internationales contre le racisme après l’assassinat de George Floyd aux Etats-Unis, les joueurs de YB manifestèrent leur solidarité en mettant un genou à terre avant de commencer une séance d’entraînement. Cette photo fut largement diffusée par plusieurs réseaux sociaux.

 

Steve von Bergen, ancien capitaine de YB jusqu’à sa retraite l'an dernier, a parrainé en mars 2019 la « Semaine contre le racisme », organisée dans le canton de Neuchâtel. Parmi d’autres personnalités sportives qui y participèrent, il faut signaler Guillaume Hoarau, attaquant vedette de YB.

 

Joie populaire durant la pandémie

 

Bien que les supporters de Young Boys aient commencé la fête à Berne, le vendredi 31 juillet, après la précédente victoire contre Sion (et une fois le championnat assuré), la crise sanitaire toujours en cours n’autorise pas les « explosions » de joie démesurées. Contrairement à 2018 – lorsque YB gagna le premier titre après 32 ans de stagnation – et à 2019, sa seconde et plus récente couronne. Lors de ces deux événements, toute une ville et un canton s’étaient mobilisés dans des fêtes populaires massives et prolongées.

 

Dans cette étape spéciale, les fêtes actuelles sont plus limitées, moins massives, les joueurs portant des masques et se tenant à distance des supporters, avec des réseaux sociaux débordant de célébrations virtuelles.

 

L’euphorie contenue et la participation populaire médiatique accentuent les grandes questions formulées dans le monde entier par les sportifs - tout comme par le secteur culturel – sur leur viabilité future.

 

Le COVID-19 contre le sport

 

Selon la récente étude officielle, Sport et économie en Suisse : de l’importance économique du sport en Suisse, parue en 2020 (file:///C:/Users/Sergio/Downloads/Sport_Wirtschaft_2020_f_screen.pdf), ce secteur génère en Suisse une somme totale d’environ 22,2 milliards de francs (quasiment équivalent en dollars étatsuniens), et représente 1,7 % du produit intérieur brut (PIB) helvétique. Il génère 98'000 postes de travail, soit 2,4 % du marché du travail. Cela implique un impact supérieur aux secteurs de production des machines et du métal, avec une valeur ajoutée deux fois supérieure à celle du secteur agricole.

 

Dans ce cadre, le football occupe une place importante. Bien que la Super League suisse – avec seulement dix équipes et une valeur totale de ses joueurs estimée par Transfermarkt à 260 millions d’euros – se trouve parmi les plus petites d’Europe, l’ensemble de l’activité footballistique helvétique (y compris les ligues non professionnelles ou régionales) est une référence dans le sport national. Dans un pays comptant seulement 8,5 millions d’habitants, existent 1'400 clubs et 268'000 joueurs inscrits, dont 8 % de femmes. Les sièges principaux de la Fédération internationale de football (FIFA) et de l’Union des associations européennes de football (UEFA) se trouvent à Zurich pour la FIFA et à Nyon pour l’UEFA.

 

Les stades vides, résultant des limites officielles imposées par la pandémie, menacent sérieusement l’avenir du ballon rond national. Bien que les clubs reçoivent une bonne part des droits de retransmission télévisée négociés pour 2020-2021 – représentant annuellement 35 millions de francs pour les deux ligues professionnelles -, l’apport dominical des spectateurs, dépassant 25'000 personnes dans le cas de YB, constitue un revenu essentiel.

 

La participation du club champion à une ronde préliminaire de la prochaine League des champions, et des trois suivantes équipes  dans des compétitions similaires de la Coupe d’Europe peut apporter une bouffée d’oxygène à ces équipes suisses. Néanmoins, les coûts sont élevés, les entrées insuffisantes et, à de rares exceptions comme Young Boys, de nombreux clubs se trouvent dans les chiffres rouges. Cela les amène à utiliser la « vente miracle » de certains des meilleurs joueurs de leurs équipes à des ligues classées en catégories supérieures, en espérant ainsi équilibrer leurs comptes.

 

Comme toutes les activités humaines, le football n’échappe pas aux griffes de la nouvelle situation planétaire. Il faut réinventer la survie des stades et de nouvelles formes de présence et de fête populaire. Pour le moment, même les champions n’ont pas réellement réussi à marquer le but de la victoire contre le coronavirus.

 

Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/208310
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