Élections au Brésil : haine, frustration et valeurs réactionnaires

11/10/2018
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Ilustración: Indymedia Argentina
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La bonne performance du candidat d’ultra-droite Jair Bolsonaro, du Parti Social Libéral (PSL), peut s’expliquer par trois facteurs qui ont eu lieu simultanément : la haine anti-pétiste (anti PT, le Parti des Travailleurs de l’ancien président Lula), rejet du système politique (frustration) et la consolidation culturelle de valeurs conservatrices dans la société brésilienne.

 

La haine : Bolsonaro a réactivé et capitalisé l’anti-pétisme viscéral des classes supérieures et moyennes, et l’a mené jusqu’aux limites socioéconomiques de ces classes tout en capturant une partie des secteurs populaires. Profitant du même sentiment qui motiva les mobilisations de 2013 qui avaient presque provoqué la défaite de Dilma Rousseff aux élections de 2014 et donné un large espace aux pouvoirs judiciaire et législatif visant à une destitution de douteuse légalité, Bolsonaro a agglutiné autour de lui la haine du PT concentrée autrefois par le traditionnel « pôle toucan » (le PSDB, le parti de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso) de l’équation politique des 20 dernières années au Brésil. Le candidat du PSDB, Geraldo Alckmin, n’a obtenu que 6 % des voix (quatrième position) et perdu 19 sièges au Parlement, la plus mauvaise élection de l’histoire du parti.

 

La frustration : Dans le cadre d’une profonde frustration de la classe politique, Bolsonaro a très habilement su se libérer de son passé et se construire comme l’« outsider » qu’il n’est pas. Il fut député fédéral pendant 27 ans, affilié au Parti Progressiste (droite) pendant 11 de ces années ; le PP est le parti qui a le plus de membres mis en examen dans les procédures judiciaires du Lava Jato. Bien que le plus fort de la tempête du Lava Jato a, c’est clair, surtout pris pour cible le PT, elle a aussi touché tous les partis qui ont participé au jeu démocratique depuis la fin de la dictature fin des années 80. Les scandales de corruption ont frappé le PT, le PSDB, le MDB (autrefois PMDB, le parti du président Temer), le DEM (ex PFL, le parti conservateur traditionnel), ainsi qu’à nombres des partis qualifiés de « physiologiques » ou du centre pragmatique, produisant un discrédit généralisé de la politique dans la population. Dans un contexte de « c’est tous des voleurs », « sont tous les mêmes » ou « ils ne travaillent que pour eux-mêmes », l’ancien capitaine Bolsonaro, utilisant un style simpliste et direct mais très astucieux, a réussi à se détacher de cette classe et à s’ériger comme en dehors de ce système corrompu. Il est clair que le fait qu’il ne soit pas l’objet de fortes dénonciations l’a aidé à promouvoir cette image.

 

Des valeurs réactionnaires : Les valeurs de tolérance et de respect à la différence et à l’inclusion sociale qui furent promues par les politiques publiques résultant de revendications sociales très fortes dans la société brésilienne, ont peu à peu réactivé des réactions dures des secteurs conservateurs. Les politiques positives en relation avec la race, le genre, le sexe et la condition socio-économique ont été transformées par la rhétorique conservatrice en « privilèges », « paternalisme », « attentat contre la famille », en politiques d’encouragement aux personnes qui ne veulent pas travailler, ou qui ne méritent pas l’aide de l’État.

 

À cette réaction conservatrice, il faut ajouter le poids social et culturel croissant des églises évangéliques qui, au Brésil, vont bientôt dépasser en nombre de fidèles ceux des églises catholiques. Malgré leur diversité et le fait que pas tous les fidèles répètent en politique ce que leurs dirigeants disent, les évangéliques majoritaires ou plus politiquement actifs sont les plus conservateurs et leurs valeurs sont proches du discours conservateur radical de Jair Bolsonaro : famille, anti-gays et union LGBT, avortement, plus la notion de méritocratie, dérivée de la « théologie de la prospérité » qui attribue à l’effort individuel la raison du succès dans la vie.

 

Par exemple, le mouvement des femmes #EleNão (Lui, non ! contre Bolsonaro) a servi la stratégie du candidat qui voulait montrer avec des images et des messages manipulés (fausses nouvelles) les « valeurs de la gauche » et contre la famille que ce mouvement était soi-disant en train de promouvoir, alors qu’il s’agissait de lutter contre les menaces que les positions de Bolsonaro représentent pour les femmes, protagonistes des principales manifestations de rues réalisées dans le contexte de la campagne électorale.

 

La guerre électorale : Le bombardement électoral de forte intensité que les hordes du candidat du PSL ont déclenché contre le candidat du PT les derniers 10 jours avant les élections, fondamentalement à travers les réseaux sociaux (whatsapp), s’est montré extrêmement efficace pour activer l’anti-pétisme et la réaction conservatrice. L’alluvion d’audios, vidéos et mémés circulant sur les réseaux sociaux, dont un haut pourcentage de fausses nouvelles ou d’informations manipulées, ont désactivé les temps de télévision des autres candidats et asséné un coup décisif à Haddad et au PT qui, après une campagne majoritairement basée sur des propositions programmatiques (« paix et amour »), n’a décidé que tardivement de commencer une contrattaque envers Bolsonaro.

 

Aujourd’hui, les bourses montent et le dollar chute, c’est l’euphorie du marché en relation avec la possibilité d’un gouvernement qui promet de ne pas toucher les intérêts économiques des élites brésiliennes et d’agir avec mano dura pour contrôler les contradictions sociales que les mesures d’ajustement et le recul de la protection sociale et du travail génèrent déjà dans la population la plus pauvre du Brésil.

 

Dans les semaines qui viennent, on verra s’il est possible de changer la tendance, commencée avec le retour à la démocratie brésilienne, qui dit que qui gagne le premier tour gagne aussi le second. Bolsonaro a déjà annoncé qu’il poursuivra sa campagne de la même manière ; Haddad tente de rassembler le camp démocratique et fait des gestes vers le centre du spectre politique pour convaincre des secteurs démocratiques libéraux. Il devra, en même temps, attaquer le candidat du PSL pour tenter une « déconstruction » de sa personnalité dans les médias, les réseaux et la rue. Il pourra finalement présenter ses propositions et programmes face à face avec Bolsonaro qui profite de l’attentat contre lui exécuté par une personne déséquilibrée pour fuir les débats télévisés et la confrontation directe sur les politiques publiques. Il dépendra du talent personnel du pétiste et de l’acharnement du camp démocratique et populaire pour que le Brésil ne se transforme pas en un autre triste cas de recul politique, social et culturel provoqué par l’onde fascisante du néolibéralisme actuel dans le monde.

le 8 octobre 2018

 

 

Gonzalo Berrón, Sao Paulo.

 

Traduction Jac Forton

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/195849
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