CEPAL : sur la route contraire au néolibéralisme

15/05/2018
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Reunión de la CEPAL en La Habana
Foto: radiorebelde.cu
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La semaine dernière a eu lieu à La Havane, Cuba, la 37e période de sessions de la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (Cepal) qui célèbre ses 70 années d’existence puisqu’elle fut créée par les Nations Unies en février 1948. L’axe de cette réunion a tourné autour du développement économique et de l’inégalité, thèmes vitaux pour la région.

 

Mais cette réunion transcendantale n’a pas eu plus d’impact qu’une information internationale de référence qui n’a pas relevé les contenus du thème central qui est celui qui aurait dû intéresser. Cela est dû, sur le continent, à la domination des visions néolibérales des entreprises sur les propositions alternatives et critiques qui sont celles justement offertes par la Cepal. La fureur des concepts de l’ouverture, la compétitivité et les marchés dans une Amérique latine dominées par les élites du secteur des entreprises, les moyens de communication privés et les gouvernements de la droite politique, a occulté les études rigoureuses de la Cepal.

 

Cependant, la Cepal est aujourd’hui la plus importante institution régionale dans la sphère académique de l’Économie. Un des axes persistants de ses études concerne la redistribution de la richesse. Ses informations sont accablantes : une élite de millionnaires continue à concentrer la richesse pendant que des millions de citoyens latino-américains continuent à vivre dans des conditions de vie et de travail précaires. Il faut fortement taxer ces riches. De plus, il faut renforcer les capacités de l’État et soutenir les capitaux productifs pour une croissance endogène sans l’ouverture indiscriminée vers des marchés dérégulés.

 

Les thèses de la Cepal ne sont pas écoutées comme elles le méritent. Elles sont pourtant loin de proposer la chute du capitalisme, des actions révolutionnaires ou une marche vers le socialisme. Raison pour laquelle, même des secteurs de gauche ou des marxistes, qui devraient considérer ses propositions, tournent la tête de l’autre côté. C’est pire du côté des entreprises et des droites économiques, chez qui seul prime l’intérêt pour les bonnes affaires et en aucune façon la répartition de la richesse qui mènerait à une amélioration substantielle des classes moyennes, populaires et laborieuses.

 

La pensée de la Cepal choque contre le néolibéralisme. Elle réfléchit et fait des propositions pour que le capitalisme latino-américain fonctionne au moins sur des bases de responsabilité des entreprises et vers une orientation sociale des services publics et des capacités des États, qui renforcent les intérêts nationaux plutôt que les intérêts privés.

 

Le travail de recherche récent que la Cepal a présenté lors de la réunion de La Havane s’intitule « L’inefficacité de l’inégalité » (https://bit.ly/2KjOVWi). On y voit clairement que ce sont précisément les inégalités qui provoquent des impacts négatifs sur la production, les ressources fiscales, la durabilité environnementale et le développement de la société basée sur la connaissance.

 

L’impact est de telle magnitude que l’Amérique latine et les Caraïbes sont la région la plus inégalitaire au monde, avec un coefficient Gini moyen de 0,50 à comparer avec les 0,45 de l’Afrique subsaharienne, 0,40 de l’Asie orientale et du Pacifique, et 0,30 pour les pays de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE). La Cepal note qu’en plus, l’évasion fiscale de la région atteint les 6,7 % de son produit intérieur brut (PIB) rien qu’en termes d’impôts à la rente et à la TVA.

 

Il est clair pour l’entité que les politiques d’État visant à promouvoir l’égalité provoquent des résultats positifs dans le bien-être social et des changements économiques indéniablement favorables à la croissance, à l’innovation et au progrès général. Elle lie sa vision stratégique à l’Agenda 2030 et à ses Objectifs du développement durable approuvés par les Nations unies en 2015.

 

Comme le souligne Alicia Bárcena, Secrétaire-exécutive de la Cepal : « L’économie politique des sociétés fortement inégales et la culture du privilège sont des obstacles à l’avance vers un développement avec égalité. La région a hérité des vestiges coloniaux d’une culture du privilège qui naturalise les hiérarchies sociales et les énormes asymétries d’accès aux fruits du progrès, à la délibération politique et aux actifs productifs. Nous devons consolider une culture de l’égalité des droits qui est aux antipodes de la culture du privilège ».

 

Mais ces thèmes, ces points de vue et ces propositions sont complètement ignorées en Équateur. Non seulement parce que les élites du secteur des entreprises et leurs économistes idéologiques les méprisent ou ne les connaissent même pas par pure ignorance, mais parce qu’elles choquent contre leurs propres propositions orientées vers d’autres chemins.

 

Au lieu d’écouter la Cepal, en Équateur on se dirige vers le côté opposé, en écoutant plutôt les propositions exclusives des chambres de commerce et de la production converties en alliées privilégiées d’une nouvelle économie. Ainsi, elles considèrent que la remise des impôts et le pardon des dettes du SRI et de l’IESS (soit la légalisation institutionnelle de la corruption privée) sont des formules qui promeuvent les investissements et la productivité ; qu’il faut diminuer les capacités de l’État ; que la signature de traités de libre commerce, les conventions bilatérales d’investissement et l’ouverture indiscriminée sont des formules salvatrices contre les héritages de la décennie passée.

 

Le recul des concepts économiques officiels en Équateur est alarmant dans un contexte latino-américain qui, comme le rappelle l’étude de la Cepal, devrait établir un autre modèle de développement économique.

 

14 mai 2018

 

(Traduit par Jac Forton)

 

- Juan J. Paz y Miño Cepeda est historien équatorien et coordinateur de L’Atelier d’Histoire économique.

Blog Historia y Presente sur www.historiaypresente.com

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/192883
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