Selon une étude de l’UNASUR

L’accès aux médicaments doit devenir une priorité régionale

14/05/2018
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Gráfico: ISAGS
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S’il est clair qu’une politique publique de santé va bien au-delà de la fourniture de médicaments, l’accessibilité de ceux-ci par la population est un composant clé et un élément fondamental du droit à la santé. Cependant, les prix élevés de nombreux médicaments, les brevets et les pratiques commerciales des grandes entreprises pharmaceutiques font qu’il est très difficile pour les services publics de santé de fournir la population en médicaments de manière adéquate.

 

Pourtant, si les gouvernements de la région agissaient ensemble, pour les négociations et les achats, ils auraient un bien meilleur pouvoir de négociation pour réduire les coûts et obtenir des conditions plus justes.

 

C’est justement ce que cherche à réaliser l’Institut Sudaméricain de Gouvernance de la Santé (ISAGS), une entité dépendant de la UNASUR (Union des Nations Sudaméricaines), qui a récemment publié une étude sur « L’achat public de médicaments dans les pays de l’UNASUR ».

 

Dans son introduction, cette étude souligne le cercle vicieux entre la maladie, la mort prématurée et la pauvreté, notant qu’un des obstacles à l’accès aux médicaments est leur prix élevé, qui est déterminé par des facteurs tels que « la construction de monopoles, des cadenas normatifs, des accords commerciaux internationaux et les brevets » et, parfois, des politiques gouvernementales inadéquates.

 

Ce n’est pas pour rien que les entreprises pharmaceutiques se situent au sommet du classement mondial des industries les plus rentables selon la revue Forbes en 2016. De plus, les médicaments qui génèrent les plus gros bénéfices sont ceux qui s’utilisent dans le traitement des maladies catastrophiques. On pourrait dire que ces entreprises ont là une clientèle captive et vulnérable ; cependant, ces prix élevés provoquent l’exclusion des malades pauvres.

 

Le prétexte pour les brevets et les prix élevés est qu’il faut impulser les investissements dans la recherche de nouveaux médicaments ; mais en pratique, selon cette étude, l’industrie investit beaucoup plus d’argent (jusqu’à 100 % dans certains cas) en vente et marketing qu’en recherche et développement. Ainsi, « le succès économique de l’industrie pharmaceutique se doit aux manœuvres réalisées sur le marché pour installer ses règles du jeu, lesquelles promeuvent la consommation sélective et dépendante de leurs produits à travers des stratégies commerciales plutôt questionnables ». Pour ce faire, ces entreprises recourent aussi à des mécanismes illégaux tels que pots-de-vin, cadeaux et soutien financier pour des activités professionnelles.

 

Il est logique que le traitement de la problématique des médicaments soit différent dans les pays en développement, qui n’ont que peu ou pas d’industrie propre en la matière, que dans les pays développés qui produisent leurs propres médicaments et même les exportent. Les premiers auraient intérêt à agir conjointement pour améliorer leur pouvoir de négociation.

 

De leur côté, les pays-sièges des grandes entreprises pharmaceutiques transnationales soutiennent ces industries dans les négociations commerciales et dans des entités telles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où ils font pression pour allonger les délais de protection des brevets, entre autres facteurs.

 

Comparaison des prix

 

L’étude de l’ISAGS développe une analyse des mécanismes utilisés par les pays de l’UNASUR pour mener l’achat public de médicaments, et identifie les stratégies et les expériences réussies. Lors d’un entretien avec ALAI, Carine Vance, directrice exécutive de l’ISAGS, commente que cette ligne de travail, qui définit, entre autres facteurs des stratégies qui peuvent aider à ce que le prix des médicaments soit accessible tant pour l’achat public que pour la population en général, était une priorité régionale qui a été présentée de manière récurrente par les ministres de la santé des 12 pays qui intègrent le bloc.

 

Étant donnée la complexité du thème, la directrice de l’Institut signale que l’UNASUR a établi diverses lignes d’action, parmi lesquelles une banque de prix des médicaments, impulsée grâce au financement des membres du bloc. Il compte aussi un fonds d’initiative commune dans lequel les nations de la région partagent des informations sur leurs médicaments considérés comme prioritaires, ce qui permet de faire une analyse comparative des prix que l’industrie offre aux divers pays.

 

Vance remarque qu’à travers la banque de prix des médicaments, une analyse de 34 vaccins a montré une grande asymétrie dans les prix proposés. « Si la région pouvait obtenir le prix le plus bas pour ces 34 médicaments, elle épargnerait environ un milliard de dollars par an. C’est un des résultats de l’étude ».

 

Les bonnes pratiques

 

En ce qui concerne les normes de régulation des processus d’achat de chaque pays, l’ISAGS note quelques pratiques qui donnent des résultats avantageux tels que la référenciation de prix, une stratégie qui permet aux pays de consulter les coûts historiques d’achat et faire une analyse comparative, tant de la région qu’internationalement. « Cela aide à établir des prix de référence et aide les processus de négociation avec l’industrie pour pouvoir chercher une réduction des prix », ajoute la directrice.

 

Autre bonne pratique identifiée par l’étude est la mise sur pied de plateformes technologiques qui assurent la transparence des procédures. « Plusieurs pays de la région ont des plateformes technologiques pour le processus de référenciation et d’achat public », dit Vance. C’est le cas de l’Équateur dont la plateforme permet une mise aux enchères inverse (le prix le plus bas gagne), en condition de transparence pour les entreprises et pour le public, qui a signifié une épargne importante pour le pays.

 

Carine Vance relève également l’utilisation de listes de base de médicaments dues à ce qu’actuellement la région se trouve dans une conjoncture dangereuse dans laquelle « il semblerait que chaque jour, il y a de nouveaux produits que l’on essaie d’introduire sur les marchés publics et privés des pays au moyen de l’obtention de brevets de médicaments ». Elle précise que souvent ces produits ne présentent pas d’innovation et, cependant, il y a des pressions pour que ce soient précisément ces médicaments-là qui soient acquis par le secteur public. La directrice de l’ISAGS indique que, pour cette raison, l’évaluation de technologies sanitaires est très importante dans le processus de détermination des listes des médicaments de base qui détaillent le profil épidémiologique du pays sur base des pathologies de la population pour laquelle ces médicaments seront achetés.

 

Dans ce cas, l’étude inclut une analyse d’efficacité du médicament et une analyse de coût, pour éviter que les pays de région acquièrent le médicament à des prix élevés alors que l’évidence scientifique indique qu’une option plus économique obtiendrait les mêmes résultats.

 

Négociations commerciales

 

Un des problèmes que les pays sudaméricains doivent affronter sont les clauses de protection que les entreprises pharmaceutiques imposent dans les négociations commerciales. Dans ces négociations (par exemple lors de traités de libre commerce, à l’Organisation mondiale du commerce, etc.), les médicaments sont traités comme s’il s’agissait de n’importe quel bien commercial, non comme un droit humain. La directrice de l’ISAGS regrette justement que dans ce type de négociation, il est rare d’observer la présence de représentants du secteur de la santé qui puissent défendre les véritables besoins. Cependant, à l’OMC, les pays en développement ont quand même pu, il y a quelques années, négocier des clauses qui leur permettent, en cas d’épidémies par exemple, de remplacer ces droits de brevet et les licences obligatoires par la production de médicaments génériques ; mais pour des petits pays qui agissent seuls, il est souvent très difficile de remplir les conditions pour y arriver.

 

Pour ces négociations, Vance souligne l’importance, par exemple, de prendre en compte les conditions que l’on cherche à imposer aux pays en ce qui concerne la mise en vigueur des patentes. Il faut ainsi veiller à ce que les années de mise en vigueur des durées de protection des données de preuve (c’est-à-dire la documentation qui assure l’efficacité et la sécurité d’un médicament), ne soient pas prolongées. Certains accords stipulent une durée de cinq ans ; il serait alors préjudiciable que ce temps soit de 10 ans dans d’autres négociations. L’accès aux données de preuve d’un médicament est une des conditions qui permettent de déterminer son efficacité, étape nécessaire pour pouvoir instaurer une procédure de licence obligatoire, lorsque l’on estime que son accessibilité est stratégique pour répondre aux nécessités de santé publique de la population.

 

Au-delà des accords formels, il y a des cas où des pressions s’exercent pour tronquer les licences obligatoires de certains médicaments, ajoute-t-elle. Elle mentionne plus spécialement un cas récent en Colombie, où il y a eu une tentative de stopper une procédure de licence obligatoire d’un médicament oncologique en faisant des pressions externes sur le gouvernement.

 

Un futur incertain

 

Les programmes développés par l’ISAGS comptent certainement parmi les plus réussis de l’UNASUR, et cette étude récente est un exemple des avancées que l’on peut obtenir dans le cadre des processus d’intégration lorsqu’il existe une décision politique au-delà des différences idéologiques entre les gouvernements.

 

Peu après la réalisation de cet entretien, six pays de l’UNASUR ont décidé de suspendre leur participation dans cette entité, au moins jusqu’à la définition d’un nouveau directeur général ou d’une nouvelle directrice générale. Pour l’ISAGS, cela a signifié un impact négatif étant donné qu’il a fallu suspendre au moins un événement programmé, en plus de coupures possibles dans le budget. Pour la population de l’Amérique du sud, cela signifiera un recul grave car l’intégration régionale, au fond, n’est pas celle des gouvernements qui ne sont que passagers, mais celle des peuples.

 

8 mai 2018

 

- Sally Burch est journaliste britannique-équatorienne (ALAI).

 

(Traduction par Jac Forton)

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/192841
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