Eléments de compréhension de la situation guyanaise de mars 2017

Les journées de mars 2017 sont-elles «historiques» ?

05/04/2017
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Foto: alinstanoticias.com
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Oui, si on entend par là qu’il s’agit de l’expression du sentiment que l’on vit en Guyane des journées de mobilisations exceptionnelles, portées par l’exaspération collective devant des problèmes récurrents, graves et sans réelles solutions depuis des décennies.

 

En revanche, on ne pourra qualifier ces journées de mars 2017 d’historiques qu’avec un recul suffisant pour observer leurs conséquences sur l’évolution de la vie guyanaise : s’agira-t-il d’un tournant qui a changé la vie de la Guyane ? Ou d’un moment certes exaltant, mais qui fondamentalement n’a pas modifié de façon significative la manière de vivre en Guyane ?

 

Pour comprendre les protestations et les revendications de la Guyane d’aujourd’hui, il me semble utile de rappeler qu’elles sont le fruit de la contradiction fondamentale qui mine la vie économique et sociale du pays, toujours à la merci d’étincelles qui, à plusieurs reprises dans l’histoire, ont mis le feu aux poudres.

 

Il y a en effet une contradiction fondamentale entre le statut politique du territoire et sa situation économique et sociale. La colonie de la Guyane française a été transformée en département de la République française en mars 1946, sur la promesse qu’un développement économique hisserait le nouveau département au niveau de développement de la France métropolitaine. Or, aujourd’hui, en dépit de l’amorce d’un développement économique qui se traduit par un niveau de vie relativement élevé, on a affaire à un vaste département – dont la superficie est un peu supérieure à celle de l’Autriche – qui souffre depuis plus d’un demisiècle d’inégalités sociales accentuées, d’inégalités du développement, avec des zones relativement bien équipées sur le littoral, et d’autres zones, notamment celles de l’Ouest et du Sud, où parfois l’eau courante, l’alimentation électrique permanente et des télécommunications performantes font largement défaut.

 

Par ailleurs, les récents mouvements migratoires de grande ampleur vers la Guyane, en provoquant le doublement de la population en moins de 30 ans, ont aggravé les insuffisances des équipements et des services, tout en contribuant au gonflement du nombre de chômeurs (plus de 22% de la population active). En somme, inégalités du développement, insuffisances des équipements et des services, créations insuffisantes d’emploi, face à la croissance démographique élevée du pays, donnent le sentiment qu’il y a en Guyane, dans un département de la République, rupture du principe de l’égalité républicaine. En ce début de l’année 2017, ce qui met le feu aux poudres, et qui constitue le dénominateur commun de toutes les protestations et revendications, c’est l’exaspération collective devant la montée de la criminalité, qui porte gravement atteinte, dans l’ensemble du pays, aux personnes et aux biens, dans toutes les classes sociales, dans tous les groupes socioculturels.

 

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de journées historiques ou de moments vécus comme tels, pour nombre d’observateurs parmi lesquels je me range, il s’agit de journées qui frappent les esprits, par une manière tout à fait novatrice de mobiliser toutes les forces du pays dans son rapport à l’Etat et au pouvoir politique en général. En masse, directement, par le moyen de fichiers de doléances, des « collectifs » de citoyens, dans tout l’espace géographique guyanais, se sont constitués pour dire aux pouvoirs publics leur manière de penser la société guyanaise, au travers de revendications, qui, toutes, proclament en premier lieu, sans exclusion des autres volets de leur identité, leur sentiment d’appartenance au pays Guyane.

 

Le 31 mars 2017

https://www.alainet.org/fr/articulo/184609
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