Un accord politique mort-né

10/02/2016
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À moins de croire que les Haïtiennes et Haïtiens ne sont pas dignes de démocratie et de cohérence, comment peut-on ainsi s’acharner à vouloir, toujours, leur imposer des solutions boiteuses, des voies conflictuelles, sans issues, et des politiques suicidaires ?

 

Cet accord, conclu entre un président, 24 heures avant la fin de son mandat, et un Parlement, qui souffre d’un sérieux problème de légitimité et dont plusieurs de ses membres sont soupçonnés d’avoir fraudé ou d’avoir acheté leurs places, n’est qu’une échappatoire, permettant au président et à la frange de la communauté internationale, qui le soutenait, de sauver la face, après leur échec dans l’entreprise risquée du 24 janvier 2016.

 

Peut-être que l’accord du 6 février 2016 a la vertu de nous avoir évité le déchainement de violence populaire, qui accompagnerait la tentative de Michel Martelly de se maintenir au pouvoir jusqu’à l’élection de son poulain.

 

Ceci étant dit et convenu, on ne peut que rejeter le reste de l’accord, constitué de dispositions les unes plus incohérentes que les autres.

 

Le Sénateur Jocelerme Privert et le Député Cholzer Chancy, dont nous ne sous-estimons nullement l’intelligence tactique, peuvent n’avoir participé à cette mise en scène que pour aider le pays à se débarrasser du colis encombrant et apaiser une situation explosive.

 

Dans ce cas, tant mieux dirions nous. S’il en était autrement, il faudrait s’inquiéter.

 

Pour illustrer notre propos, considérons une seule des dispositions de cette étrange entente : les cinq jours alloués au Parlement pour l’élection, au second degré, d’un président provisoire.

 

Notez que nous ne posons même pas le problème de l’opportunité de cette option par rapport à d’autres, qui seraient de loin plus simples et plus conformes à nos traditions, telle le choix de ce président provisoire parmi les membres de la Cour de Cassation, comme cela a été le cas en 1990 et en 2004.

 

Comment le Parlement haïtien pourrait-il, de manière démocratique et régulière, élire un président en 5 jours calendaires, dans les conditions actuelles ?

 

La période couverte va du lundi 8 au vendredi 12 février 2016.

 

Dans ces 5 jours calendaires, il faut compter deux journées de carnaval. Absurde. Vers quelle autre mascarade marcherions nous ?

 

Déjà, des individus, les plus bizarres, commencent à déclarer leur candidature à la radio. Cette fois-ci, ce n’est pas 54 candidats à la présidence qu’on aura. Ils seront 500, 1,000, à vouloir tenter leur chance dans cette borlette.

 

Il n’y a aucune loi, aucune règle de droit, aucune tradition récente, fixant les modalités et les procédures d’une élection présidentielle au second degré.

 

Pour effectuer cette opération, il faut que le Parlement dispose d’un cadre réglementaire. Le propre d’un Parlement est de fixer des normes.

 

Or, voilà que cette législature commencerait son existence par une entreprise totalement arbitraire et informelle.

 

Seule une loi, régulièrement votée par le Parlement et promulguée par l’exécutif, est imposable à des tiers. Or, il n’y a, pour le moment, aucun président pour effectuer cette promulgation.

 

Le Parlement ne peut pas adopter des décisions et les imposer à la nation haïtienne. Ses résolutions n’ont pas force de loi.

 

Et si nos sénateurs et députés persistaient dans une telle voie, le pays serait purement et simplement face à une nouvelle forme de dictature.

 

En l’absence de dispositions constitutionnelles et légales claires sur la question, les procédures de l’élection d’un président provisoire devraient être l’objet de sérieuses discussions, impliquant les secteurs politiques, notamment ceux qui ont été les acteurs-clés dans la lutte contre la perpétration du coup d’état électoral avorté.

 

Le consensus, dégagé à travers ces discussions, pourrait être consacré par une résolution votée par l’Assemblée nationale, résolution dont le contenu ferait l’objet d’un arrêté de la Primature.

 

Incohérence extrême, le même accord limite la Primature à la gestion des affaires courantes. Il est clair que, dans la situation exceptionnelle à laquelle nous sommes confrontés, nous ne pouvons pas limiter le gouvernement sortant de Evans Paul à la gestion des affaires courantes.

 

Ce faisant, on neutralise totalement le pouvoir Exécutif.

 

En même temps, le Parlement évoque la fin du mandat de certains juges de la Cour de Cassation, pour écarter totalement le 3e pouvoir.

 

En vérité, si l’on était tatillon, on pourrait ne même pas reconnaitre l’existence de cette 50e législature, mise en place en violation de la Constitution et du décret électoral.

 

Nous ne parlons même pas des parlementaires mal élus, dont le Parlement a la responsabilité morale de se débarrasser.

 

Le compromis, nécessaire pour sortir de la crise, exige un peu de modestie et flexibilité de la part de tout un chacun, car aucun des trois pouvoirs n’a été épargné par la crise.

 

Les considérations, qui précèdent, portent sur le principe de cette élection présidentielle au second degré.

 

Quelle est la situation sur un plan plus pratique ?

 

Une élection, qu’elle soit directe ou indirecte, suppose, entre autres, la définition et la communication des conditions d’éligibilité, la définition des procédures de candidature, la fixation du délai pour la soumission des candidatures, celle du délai pour l’analyse des pièces et l’acceptation des candidatures, la fixation des règles du vote, des modalités de proclamation des résultats, etc.

 

Tous ces points doivent être débattus et faire l’objet d’un consensus suffisant, car nous sommes dans une situation inédite.

 

Entre le 5 février 2016 et la date de la tenue de ces élections indirectes, voici une liste, non exhaustive, de tout ce qu’il y aurait à faire :

 

• Engager les discussions, autour de ces élections indirectes du président, avec tous les secteurs concernés ;

 

• signer un accord politique, impliquant les trois pouvoirs et des représentants des partis politiques représentés au parlement, accord consacrant le consensus obtenu à la faveur des discussions ;

 

• adopter une résolution parlementaire, consacrant les dispositions envisagées dans l’accord ;

 

• faire publier cette résolution du Parlement dans le journal officiel Le Moniteur ;

 

• adopter un arrêté ministériel convoquant les élections indirectes ;

 

• recevoir les candidatures ;

 

• traiter les candidatures, pour éliminer celles qui ne sont pas régulières ;

 

• permettre aux candidates et candidats retenus d’exposer leurs politiques au Parlement et à la nation ;

 

• réaliser au moins trois tours de scrutin, le premier tour pour dégager les 3 candidates / candidats les plus convaincants et le second pour élire le président provisoire.

 

Jocelerme Privert et Cholzer Chancy, pensent-ils sérieusement pouvoir réaliser toutes ces étapes, du 8 au 12 février 2016 ?

 

À moins de croire que les Haïtiennes et Haïtiens ne sont pas dignes de démocratie et de cohérence, comment peut-on ainsi s’acharner à vouloir, toujours, leur imposer des solutions boiteuses, des voies conflictuelles, sans issues, et des politiques suicidaires ?

 

Nous avons également des objections majeures sur l’échéance de quatre mois, fixée dans l’accord pour la reprise des élections.

 

N’est ce pas à la loi électorale que revient cette attribution ? Veut-on se servir du même décret électoral, ayant amené aux catastrophes des 9 août et 25 octobre 2015 ?

 

Envisage-t-on de n’effectuer aucune réforme dans l’appareil électoral décrié ? Veut-on marcher sur les sentiers battus du Conseil électoral provisoire (Cep) de Pierre-Louis Opont ?

 

Privert et Chancy, pensent-ils, sérieusement, que les forces politiques, mobilisées dans les rues contre la politique de Martelly, vont, paisiblement, les laisser engager le pays dans cette gageure ?

 

Nous invitons donc le Parlement à poursuivre sa mission de facilitation de la résolution de la crise politique, en se détournant de cet accord bancal, conclu sous la pression de la communauté internationale, de la milice de Michel Martelly, et en convoquant les forces vives de la nation dans le dialogue indispensable.

 

Il est temps pour que les vrais débats entre Haïtiennes et Haïtiens commencent.

 

- André Lafontant Joseph est Gestionnaire urbaniste, coordonnateur du Groupe de recherche et d’interventions en développement et en éducation (Gride).  ajoseph@gride.org

 

Source: AlterPresse, 9 février 2016

http://www.alterpresse.org/spip.php?article19674#.Vrt4s0DYSyc

https://www.alainet.org/fr/articulo/175317

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