Garzon, un juge remis en question par toute une clique d’autres juges

20/02/2010
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La représentation classique de la Justice est une femme avec les yeux bandés, une balance dans une main et une épée dans l'autre. Cette allégorie de la Justice aveugle ne m'a jamais plu et, encore moins, le fait qu'elle ait une épée dans une main. Je crois que la Justice doit regarder les choses en face, rechercher un équilibre de la Vérité et décider de ce qui est Juste. Elle doit aussi réparer les dommages causés à des personnes et à la société.
 
Je me souviens toujours d'Henry Thoreau, cet Américain du XIXème siècle, qui disait que toute personne qui aime la liberté doit être respectueuse de la loi. Elle doit la respecter et la faire respecter. Mais il signalait aussi que certaines lois ne sont pas justes et que l'on doit désobéir à ces lois injustes jusqu'à ce qu'elles soient abrogées. C'est ainsi qu'il a assumé son engagement envers la société dans des faits concrets et qu'il a proclamé la “Résistance Civile non violente”, ce qui l'a mené en prison, quand il a refusé de payer les impôts pour la guerre contre le Mexique.
 
Ce même type de décision a été assumé par la suite par le Mahatma Gandhi lors du mouvement de libération de l'Inde, puis par Martin Luther King, par Lanza del Vasto, par le Dalaï Lama, par les mouvements indigènes, par les paysans sans terres et par des travailleurs dans la lutte pour la défense des Droits Humains en Argentine et dans d'autres pays latino-américains; ils ont tous trouvé ce chemin d'inspiration et d'engagement dans la résistance non violente contre les dictatures militaires qui ont dévasté la vie de nos peuples.
 
Les Forces Armées Argentines, en 1983, ont recherché l'impunité juridique et ont négocié avec des dirigeants politiques, des secteurs ecclésiastiques et des entrepreneurs. Ils ont utilisé tous les moyens pour empêcher le Droit des peuples à la Vérité et à la Justice d'être reconnu. C'est cette situation d'impunité qui a motivé les organisations argentines des Droits Humains à recourir aux instances internationales afin d'ouvrir des espaces pour parvenir au droit à la Justice qu'on nous refusait dans nos propres pays.
 
Je me souviens de ma première rencontre à Madrid avec le Juge Baltasar Garzon; l'Audience Nationale espagnole ne l'avait pas encore autorisé à prendre en charge les procès pour les disparus espagnols en Argentine. C'est lors de cette première rencontre que je lui ai remis mon témoignage en tant que survivant de la dictature militaire; c'était un manuscrit de plusieurs pages de carnet. Cette première rencontre fut très encourageante, car elle ouvrait enfin une possibilité et  un espoir de pouvoir juger en Espagne les responsables argentins des crimes de lèse-humanité, à partir des témoignages des citoyennes et des citoyens espagnols dont les familiers avaient disparu en Argentine.
 
En Argentine, avec les lois du “Point final et de l'Obéissance Dûe”, édictées lors du gouvernement de Raùl Alfonsin avec la complicité des dirigeants péronistes et radicaux, les militaires ont cherché l'impunité en imposant l'oubli. Leur discours était: “il nous faut oublier le passé et regarder vers l'avenir pour rétablir la démocratie”. Ils refusaient ainsi le droit pour le peuple et pour les proches des victimes de connaître la vérité. 
 
Face à cette impunité juridique dans notre pays, avec les Organisations des Droits Humains, nous avons eu recours à d'autres instances internationales, en France, en Allemagne, en Italie, en Suède et en Espagne pour parvenir à ce que la justice argentine assume sa responsabilité envers  les citoyens de chacun de ces pays, victimes de la dictature militaire argentine afin qu'on puisse appliquer enfin le droit international.
 
Ce travail avança lentement mais fermement et c'est le Juge Baltasar Garzon qui assuma la responsabilité de cette tâche; c'est avec courage et ténacité qu'il affronta bien des difficultés pour faire avancer ce procès contre les répresseurs argentins et chiliens. La détention du dictateur Augusto Pinochet à Londres provoqua une forte détonation sur le plan international, ce qui permit d'avancer pour dominer l'impunité et pour mettre enfin les répresseurs en jugement.
 
Le Juge Garzon est vraiment dérangeant pour tous ceux qui prétendent cacher la vérité et maintenir l'impunité juridique.  Ils cherchent à présent à le destituer pour empêcher ses investigations sur les crimes de lèse-humanité provoqués par le franquisme. Lorsqu'il jugeait les crimes commis dans des pays comme l'Argentine ou le Chili, on lui permettait d'avancer sans lui causer trop de problèmes, mais quand, à présent, il veut ouvrir un jugement sur ce qui s'est passé en Espagne, le Tribunal Suprême espagnol cherche par tous les moyens et met en place  toutes les manigances possibles pour l'en empêcher et le destituer de ses fonctions de juge en l'accusant de prévarication dans sa mise en jugement des responsables des crimes commis durant le franquisme.
 
Depuis la mort du généralissime Franco, qui s'était proclamé “caudillo de l'Espagne par la grâce de Dieu”, l'Espagne a toujours recherché la complicité du silence et de l'oubli. L'idée s'est imposée que l'époque vécue par le peuple espagnol durant le franquisme restait dans un passé obscur et qu'on ne devait pas en parler.
 
Ils sacrifiaient ainsi le droit à la Vérité et à la Justice sur l'autel de ce qu'ils considéraient comme “le bien suprême de revenir à la démocratie sans aucun conflit en ne rouvrant pas les plaies du passé”.
 
Ces juges, complices de l'impunité, essayent aujourd'hui de se débarrasser de lui et de le suspendre de ses fonctions tant que dure le procès demandé à son encontre par des organisations de droite franquistes qui lui ont intenté un procès. Malheureusement, certains secteurs qui se disent “progressistes” ont assumé cette campagne menée pour parvenir à la destitution de Garzon.
 
Il est vraiment nécessaire que les Organisations de Droits Humains, les mouvements sociaux, les magistrats, les collèges d'avocats, les églises et les syndicats agissent ensemble pour la défense du Juge Garzon, en Espagne, en Amérique Latine et au niveau international.
 
Nous adressons un appel au Tribunal Suprême Espagnol pour qu'il agisse en toute impartialité et nous lui disons que la Justice n'est pas aveugle et que les peuples gardent leurs yeux grands ouverts.
 

Juan Gelman, ce grand poète argentin, a dit: “En Argentine, nous avons des juges qui violent le droit des gens, le droit humanitaire, le droit international et les droits de ceux qui sont agressés; ils sont  souvent poussés par de vieilles complicités et  ils  violent la morale et l'éthique la plus courante. Le Juge Garzon n'appartient pas à cette tribu de juges et on ne comprend pas ceux qui actuellement  font un procès contre lui qui a si bien servi  la justice. En Amérique Latine et dans bien  d'autres parties du monde, nous ne comprenons pas cela”. (Traction: Francis Gély) 

https://www.alainet.org/fr/articulo/139585
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