Haïti, un pays occupé

04/10/2011
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Consultez n’importe quelle encyclopédie. Demandez quel a été le premier pays libre des Amériques. Vous recevrez toujours la même réponse : les États-Unis. Mais on ne vous dira pas qu’au moment de leur accession à l’indépendance, les États-Unis avaient 650 000 esclaves, qui sont restés esclaves pendant un siècle. Que la première constitution du pays stipulait qu’un Noir équivalait à trois cinquièmes d’un être humain.
 
Consultez toutes les encyclopédies à votre portée pour savoir quel a été le premier pays à abolir l’esclavage, vous recevrez la même réponse : l’Angleterre. Mais le premier pays à abolir l’esclavage n’était pas l’Angleterre, mais Haïti qui aujourd’hui encore est en train d’expier le péché commis en affirmant sa dignité.
 
Les esclaves noirs d’Haïti ont vaincu l’armée glorieuse de Napoléon Bonaparte et l’Europe ne lui a jamais pardonné cette humiliation. Pendant un siècle et demi, Haïti a payé à la France une indemnité énorme pour avoir conquis sa liberté, mais cela n’a rien donné. Cette insolence d’un peuple noir continue de faire mal aux Blancs du monde entier.
 
Sur ce sujet, nous savons peu de choses, pour ne pas dire rien du tout.
 
Haïti est un pays qui n’a aucune visibilité.
 
Seul le séisme de 2010 qui a tué plus de 200 000 de ses citoyens a pu lui mériter une certaine publicité.
 
Par suite de cette tragédie, le pays s’est retrouvé momentanément au premier plan de l’intérêt des médias.
 
Haïti n’est pas réputé pour le génie de ses artistes, de ces magiciens de la ferraille qui transforment tous les jours des déchets en œuvres d’art d’une grande beauté, ni pour les prouesses héroïques qu’il a réalisées dans sa guerre contre l’esclavage et l’oppression coloniale.
 
Il importe de répéter ceci une fois de plus pour que les sourds puissent l’entendre : Haïti est le pays à qui le continent américain doit son indépendance et le premier pays à avoir aboli l’esclavage dans le monde.
 
Ce pays mérite beaucoup plus que la publicité que lui apportent les malheurs qui le frappent.
 
Aujourd’hui, les armées de plusieurs pays, notamment le mien, continuent d’occuper Haïti. Comment pouvez-vous justifier cette invasion militaire ? Et prétendre qu’Haïti constitue une menace pour la sécurité internationale ?
 
Rien de nouveau sous le soleil.
 
Tout le long du XIXe siècle, l’exemple d’Haïti a été une menace pour la sécurité des pays qui pratiquaient encore l’esclavage. Déjà, Thomas Jefferson avait prétendu que le fléau de la rébellion était venu d’Haïti. En Caroline du Sud, par exemple, la loi permettait de jeter en prison tout marin de race noire se trouvant à bord d’un navire qui entrerait dans ses eaux. Le motif : le risque qu’il vienne répandre la peste antiesclavagiste. Et au Brésil, ce fléau avait un nom : l’exemple d’Haïti.
 
Une première fois au début du XXe siècle, Haïti a été envahi par les Marines et présenté comme un pays dangereux pour les créanciers étrangers. Les envahisseurs ont commencé par prendre le contrôle de la douane, qui a été confié à la National City Bank de New York. Et comme ils étaient sur place, ils y sont restés 19 ans.
 
La frontière entre Haïti et la République Dominicaine s’appelle Malo Paso (traduction littérale : Mauvais Passage) [1]. Ce nom est peut-être un signal d’alarme indiquant au voyageur qu’il entre dans le monde noir, celui de la magie noire, de la sorcellerie ...
 
Le culte vaudou, que les esclaves ont apporté d’Afrique et qui a été adopté en Haïti, ne mérite pas l’appellation de religion. Du point de vue des propriétaires de la Civilisation, le vaudou est quelque chose qui appartient aux Noirs, est synonyme d’’ignorance, de retard, de superstition. L’Église catholique, qui ne manque pas de fidèles capables de vendre des clous sacrés et les plumes de l’archange Gabriel, est allé jusqu’à interdire officiellement ce culte en 1845, 1860, 1896, 1915 et 1942. Mais il est resté bien vivant dans l’esprit et les mœurs de la population.
 
Depuis quelques années toutefois, les sectes évangéliques se sont chargées de la campagne contre la superstition en Haïti. Elles viennent des États-Unis, pays qui n’a pas de 13e étage dans ses immeubles, ni de 13e rangée dans ses avions. Un pays habité par des chrétiens civilisés qui sont convaincus que Dieu a créé le monde en une semaine.
 
Dans ce pays, le prédicateur évangéliste Pat Robertson a expliqué à la télévision les causes du tremblement de terre de 2010. Le pasteur a expliqué que les Noirs haïtiens avaient conquis leur indépendance de la France après une cérémonie vaudou, après avoir invoqué l’aide du diable au fond d’un boisé. Et c’est ce même diable qui leur a donné la liberté qui a causé le séisme comme prix de cette faveur.
 
Combien de temps encore les troupes étrangères vont-ils rester en Haïti ? Elles étaient venues stabiliser et aider, mais cela fait sept ans qu’elles desservent et déstabilisent ce pays qui ne veut pas d’elles.
 
L’occupation militaire d’Haïti coûte plus de 800 millions de dollars par an à l’ONU.
 
Si les Nations Unies consacraient ces sommes à la coopération technique et à la solidarité sociale, elles pourraient donner une impulsion appréciable au développement de l’énergie créatrice du pays. Et elles le mettraient à l’abri de ces sauveteurs lourdement armés qui ont tendance à violer, à tuer et à propager des maladies mortelles.
 
Haïti n’a pas besoin que quelqu’un vienne multiplier ses calamités. Ni besoin de la charité de qui que ce soit. Comme le dit si bien un vieux proverbe africain, la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui prend.
 
Sans aucun doute, Haïti a besoin de solidarité, de médecins, d’écoles, d’hôpitaux et d’une collaboration qui lui permette de retrouver la souveraineté alimentaire que lui ont ravie le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et d’autres organisations caritatives.
 
Pour nous, Latino-Américains, cette solidarité est un devoir. C’est la meilleure façon de dire merci à cette grande nation qui, par l’effet contagieux de son exemple, nous a ouvert les portes de la liberté en 1804.
 
Texte lu le 27 septembre 2011 par l’écrivain uruguayen à la Bibliothèque nationale de Montevideo, dans le cadre de la table ronde réalisée autour du thème « Haïti et la réponse de l’Amérique latine ». ( Traduit de l’Espagnol par Eddy Cavé)
 
[1] Note du traducteur : Curieusement, les Haïtiens ne semblent avoir jamais accordé une connotation péjorative ou injurieuse au nom Malepasse qu’ils ont d’ailleurs donné à l’un des postes frontaliers.
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/49934
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