Les incertitudes sur le rôle international des États-Unis dans le contexte actuel

16/11/2020
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Ce que révèle cette élection n'est pas une victoire de la démocratie américaine, mais au contraire la fragilité et la vulnérabilité de ses institutions dans une société fragmentée par la polarisation idéologique et identitaire.

 

La situation politique internationale semblait déjà complexe et aujourd'hui, avec la pandémie, elle est indéchiffrable. Les dirigeants Nord / Sud n’ont plus les yeux que vers les États-Unis, comme si la défaite de Trump pouvait changer la scène internationale qu'il a « bousillée » pendant 4 ans. L'administration Trump a opéré une véritable rupture avec le principe directeur de la politique étrangère américaine dans l'après-guerre froide, selon lequel ses rivaux seraient inclus dans le système international en tant que supposés « partenaires responsables ». Cependant, en remettant en question le multilatéralisme et ses institutions, l'Amérique de Donald Trump est devenue un « allié irresponsable », comme le décrit bien la chercheuse historienne Maya Kandel (1) en rejetant l'ordre international construit sous la ferme direction des États-Unis. Donald Trump a cherché à se débarrasser des structures multilatérales qui selon lui fragilisent la souveraineté américaine et vont à l'encontre des intérêts vitaux des États-Unis.

 

Sans aucun doute, lorsque Trump a agi pour affaiblir les organisations multilatérales, le « transnationalisme » avait des objectifs clairs : investir dans la promotion du nationalisme économique américain et atteindre l'objectif de réduire le rôle géopolitique de la Chine dans la coopération internationale. En fait, Trump n'a pas suivi une politique protectionniste, souveraine, afin de répondre aux désirs de la population qui cherchait plus de protection sociale et économique ; l'homme d'affaires Trump avait une stratégie de type mercantiliste pour défendre ses propres intérêts. Sa façon d'agir a montré qu'il était plus un entrepreneur qu'un représentant du peuple. Cette manière d'agir ne visait pas à réglementer, mais à obtenir des concessions spécifiques au service de ses entreprises et ses alliés.

 

Un autre fait à souligner est que nous ne pouvons ignorer l'intelligence de Donald Trump dans la perception de la société américaine. Au cours de la dernière campagne, il a ressenti le rejet du mondialisme par certaines catégories sociales, en particulier celles qui ont été touchées par la crise financière de 2007/2008. Pour cette raison, il a adopté une fausse position protectionniste. Son discours électoral et son mandat présidentiel visaient à répondre à une revendication interne, d'abord d'une partie de l'élite conservatrice blanche de l'extrême droite qui défendait «America First» et rejetait massivement toute politique de migration et de défense des minorités. Deuxièmement, à sa classe moyenne inférieure et ses couches populaires qui avaient un sentiment d'abandon, d'un manque de protection de l'État américain. Durant cette période, il y a eu plusieurs critiques sur le budget américain affecté aux guerres et sur les coûts que traduisait le rôle joué par les États-Unis en tant que gardien du monde au détriment de la protection de leurs concitoyens. Le président Obama s'était déjà engagé à retirer ses troupes de certains pays ou à diminuer sa présence.

 

Il faut reconnaître que Donald Trump, élu la première fois, a failli obtenir un second mandat, car il a compris les angoisses d'une partie de cette population et a promis de la protéger contre un monde extérieur jugé hostile. L'Amérique « trumpiste » voulait révolutionner la politique étrangère américaine, et cette volonté de redéfinir la relation de l'Amérique avec le monde était au cœur de ses promesses électorales.

 

Le mandat de Trump a commencé par une vague de décrets qui ont préparé le terrain pour une présidence consacrée à « l’Amérique d’abord » dans une semaine et animée par le désir de déconstruire ce qui avait été fait par son prédécesseur Barack Obama. Il a satisfait sa base électorale, en plus de renforcer les fondements de l'extrême droite américaine et son ignorance et délires sur les démocrates classés comme socialistes qui prépareraient le retour du communisme. Là où il y a de l'ignorance, il est très facile de confondre le mal avec le bien et la vérité avec le mensonge. Ce faisant, l'administration Trump a affaibli la démocratie américaine, nourrissant les mensonges et diluant la haine pendant 4 ans, en plus d'approfondir les divisions sociales, économiques, de genre et raciales. Aujourd'hui, les Américains risquent de se battre entre eux, tandis que la pandémie se propage et que le nombre de morts dépasse 240 000 personnes.

 

Ce que révèle cette élection n'est donc pas une victoire de la démocratie américaine, mais au contraire la fragilité et la vulnérabilité de ses institutions dans une société fragmentée par la polarisation idéologique et identitaire.

 

Et si l'Europe pouvait assumer le rôle de leader dans la gouvernance mondiale...

 

Face à ce chaos sociétal créé aux États-Unis, le gouvernement de M. Biden ne pourra guère donner la priorité à la recomposition de la politique étrangère brisée par Trump. La position internationale des Etats-Unis, bien qu'affaiblie avec ses partenaires commerciaux et avec l'opinion publique internationale, ne sera pas prioritaire face à l'urgence interne d'un quasi-chaos social. Cette urgence interne n'est pas seulement liée à la pandémie Covid 19, mais à la maladie grave qui affecte la société américaine, comme nous l'avons déjà décrit, une société contaminée par la distillation de la haine nourrie par un réseau de mensonges qui aggravent les conflits et les divisions. Il semble évident que le premier défi pour le gouvernement Biden sera d'essayer de reconstituer la cohésion sociale dans une société américaine en crise profonde. Cette crise sociale américaine a également mis en évidence les inégalités économiques auxquelles le pays est confronté. Se consacrer principalement au scénario international serait dangereux. Le protectionnisme de Trump a non seulement affaibli le multilatéralisme économique et politique, mais il a également affaibli l'hégémonie américaine.

 

Dans cette configuration, l'idéal serait que l'Europe joue un rôle de premier plan sur la scène internationale. Cependant, elle doit gagner en efficacité institutionnelle et en cohésion politique, pour assumer son leadership. L'Union n'est pas considérée comme un acteur efficace de la gouvernance mondiale, en raison des désaccords persistants entre ses membres et de ses faiblesses institutionnelles dans certains domaines. Il est vital pour l'Union européenne de trouver des partenaires dans la défense du multilatéralisme en dehors des États-Unis, afin d'éviter de construire un monde de prédation où la doctrine néolibérale règne seule. Elle n'a d'autre choix que d’agir avec ses alliés pour redéfinir le rôle des institutions multilatérales dans un contexte de crise planétaire. Cette initiative nécessitera une réflexion collective et devrait impliquer des représentants de la société civile aujourd'hui présents sur différentes plateformes internationales dans la lutte contre le réchauffement climatique, dans la lutte contre la pauvreté et pour un monde meilleur. Aujourd'hui, l'angoisse de l'avenir se nourrit de problèmes réels tant aux États-Unis qu'en Europe, en Amérique latine et sur d'autres continents. Les épidémies prolifèrent, le réchauffement climatique est une réalité menaçante pour la planète Terre. On sait que la gouvernance mondiale sous domination néolibérale a détruit l'État-providence. Cette pandémie révèle la nécessité de restaurer l'État-providence face à la crise humanitaire que nous traversons actuellement avec le démantèlement des services publics essentiels (santé et assainissement, éducation, culture, entre autres); le néolibéralisme a créé un chômage de masse, une précarité accrue, une diminution du pouvoir d'achat, l'effondrement de l'ascension sociale, la retraite, le manque de logement pour les pauvres et tous les autres problèmes causés par la mondialisation exclusive. La confluence de ces problèmes qui dégradent la vie donnent un support pour l'extrême droite. Le meilleur exemple aujourd'hui est ce qui se passe aux États-Unis ! En ce sens, les institutions multilatérales doivent être réformées pour chercher des réponses à ces angoisses désormais également mondialisées !

 

En assumant son rôle face au désordre mondial, l'Union européenne ne doit pas perdre de vue les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme et de l'engagement en faveur de l'accord sur le climat qui sont au cœur de son identité aujourd'hui.

 

L'Amérique post-Trump aura sans aucun doute besoin de beaucoup plus de temps pour retrouver sa capacité de leadership. Dans la situation actuelle, l'Union européenne et ses alliés ne peuvent pas attendre des États-Unis qu'ils rétablissent, de leur propre initiative, leur leadership en redéfinissant la nouvelle direction des relations dans la coopération internationale.

 

Pourquoi attendre la reprise des États-Unis pour réinvestir dans le multilatéralisme ? Un retour aux principales organisations internationales et traités rompu par Donald Trump serait : l’accord de Paris sur le climat, le financement de l'Organisation mondiale de la santé, le JCPOA sur l'énergie nucléaire iranienne, traité international », ciels ouverts » avec la Russie. L'Union européenne ne peut pas exclure la Russie et la Chine en tant que partenaires, il reste à définir des règles claires sur le rôle de chacun en tant que survivant du naufrage de l'ordre mondial actuel.

 

Remarque : le multilatéralisme repose sur des institutions multilatérales (internationales et régionales) définies par des principes tels que la non-ingérence, la non-discrimination et le respect des droits de l'homme. Les pays qui adhèrent à ce système international sont liés par l'intérêt mutuel ou la réciprocité afin de parvenir à "l'ordre au-dessus du chaos" sur une base ternaire : paix et sécurité, prospérité et bien-être.

 

Articles, livres consultés :

Joseph Stiglitz « Peuple, pouvoir & profits » aux éditions Les Liens qui Libèrent - 2019.
Une Certaine Idée de l'Europe Collectif / Negri Flammarion
(1) Maya Kandel, historienne chercheuse en politique étrangère de Trump https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/273699-la-politique-etrangere...
Trump et l'Union européenne avec la politique européenne - John Solal-Arouet, Denis Tersen-CairnInfo Politique Etrangère
États-Unis : un leadership à réaffirmer - Stefan Fröhlich Traduction by Silvia Feranec_ Éditeur : Presses universitaires du Septentrion

 

15 nov. 2020

https://blogs.mediapart.fr/marilza-de-melo-foucher/blog/151120/les-incertitudes-sur-le-role-international-des-etats-unis-dans-le-contexte-actuel

 

https://www.alainet.org/es/node/209785
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