Le corridor interocéanique: un projet clé pour le capital de l’industrie fossile

Le casse-tête énergétique au Mexique

31/03/2020
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Article publié en espagnol dans la revue Revista América Latina en Movimiento No. 547: Panamá en Tehuantépec: Colonización ferroviaria del sureste de México 11/03/2020

Le projet Corridor interocéanique de l’isthme de Tehuantepec, annoncé au cours de la campagne présidentielle de López Obrador (décrété en Juin 2019), et dont ont été présentées au compte-goutte des bribes d’information) n’a été décrit succinctement que de façon positive, comme un corridor de transport routier et ferroviaire qui, en plus de relier le Golfe du Mexique à l’Océan Pacifique, prétend être un moyen d’étendre les zones industrielles du sud de Veracruz et du Tabasco vers le port de Salina Cruz en Oaxaca. Il prévoit l’installation de nouveaux parcs industriels le long de cet axe interportuaire. Cependant, un examen plus approfondi de l’ensemble des projets dans la région et des activités et infrastructures déjà existantes, nous permet de comprendre que, dans ce projet, l’énergie est une marchandise qui joue un rôle stratégique dans la région et que, loin d’être considérée comme une marchandise de plus à transporter par ce corridor, elle peut faire l’objet d’un grand intérêt pour une part importante de la classe capitaliste de la région.

 

À la tentative connue d’aménager cet isthme en corridor de circulation de marchandises entre les ports de Coatzacoalcos et Salina Cruz, s’ajoute le fait que  la région gère la plus grande production d’électricité éolienne du Mexique, en plus d’être limitrophe de la zone de la plus grande extraction et de réserves prouvées d’hydrocarbures du pays, sans oublier qu’elle est aussi le passage terrestre obligé de toute connexion entre le centre et le nord du territoire national avec la péninsule du Yucatán et l’isthme d’Amérique centrale. Ces caractéristiques font de l’isthme de Tehuantepec un espace d’articulation entre divers réseaux de production, de transport, de consommation d’énergie, et pas uniquement comme un corridor transocéanique potentiel. En particulier, la présence du complexe industriel d’énergie fossile révèle le caractère stratégique de la région : pour l ‘ensemble des marchandises de ce type, qui y sont produites et qui transitent par là, cela permettrait d’amplifier les réseaux terrestres et maritimes de longue et moyenne portée et d’intensifier ainsi l’articulation de la région avec les marchés de l’énergie du sous continent et du monde.

 

Un des éléments qui constituent le Corridor interocéanique est l’extension du réseau des oléoducs de transport des hydrocarbures dans la région, qui comprend également des oléoducs pour le transport du gaz naturel, du gaz GPL, du pétrole et des dérivés du pétrole.

 

Partie intégrante de ces projets, le premier est le Gazoduc Jáltipan-Salina Cruz qui a été inclus dans le Plan Quinquennal d’Expansion du Système de Transport et de Stockage National Intégré de Gaz Naturel 2015-2019, publié par le Secrétariat à l ‘Énergie (SENER) en 2015, en tant que cadre des principales lignes d’investissement en infrastructure, qui ont été présentées après la Réforme énergétique de 2013. Parallèlement à la présentation de ce projet qui prétend amplifier la capacité de transport de gaz naturel entre le nord de l’isthme et le port de Salina Cruz au sud de ce dernier, il était question aussi d’un autre projet que, par l’intermédiaire de Pemex, on tentait de promouvoir depuis 2015 : la construction de deux gazoducs pour le transport du gaz naturel et du gaz GPL qui, dans leur globalité, étaient connus sous le nom de Projet Ceinture transocéanique. Un projet dans lequel l’oléoduc pour le transport du gaz naturel est lié, selon les documents tels que La Manifestation d’Impact Environnemental, à la construction d’un terminal pour l’exportation par voie maritime de gaz naturel par le port de Salina Cruz et d’une connexion avec un gazoduc qui permettraient de transporter du gaz naturel vers les pays du nord de l’Amérique centrale. Ce dernier est le second projet qui se distingue de l’ensemble des travaux qui, au cours de la dernière décennie, ont été planifiés dans la région, quoiqu’une de ses dernières versions (incluse aussi dans le Plan quinquennal de 2015) était connue sous le nom de Gazoduc Salina Cruz-Tapachula.

 

Ainsi, le projet d’amener le gaz naturel par voie terrestre depuis le sud-est du Mexique jusqu’à l’isthme centre-américain se décomposerait en deux tronçons, le premier qui amènerait l’hydrocarbure jusqu’à la frontière Mexique-Guatemala, et un second tronçon qui le transporterait jusqu’au Honduras et au Salvador, en traversant tout le territoire guatémaltèque. Une autre version du premier tronçon, en plus du Gazoduc Salina Cruz-Tapachula mentionné, a été présentée par une filiale de Pemex en 2015, sous le nom de Projet Quetzal. Sans faire référence concrètement à ces deux versions du projet, en novembre 2018, la Development Finance Corporation (DFC),antérieurement Overseas Private Investment Corporation (OPIC)des États-Unis avait signé une lettre d’engagement pour financer l’entreprise Rassini S.A.B.de C.V. pour la construction d’un oléoduc dans le sud du pays afin d’ amener du gaz naturel jusqu’au Chiapas. Ce projet serait encadré par l’ Initiative pour le Développement des Pays Centre-américains, lancé par le nouveau gouvernement du Mexique, avec le soutien de la CEPAL et du gouvernement des États-Unis. C’est une initiative dont l’un des axes majeurs d’investissements est la construction d’un gazoduc depuis le sud-est du Mexique pour amener du gaz naturel au Guatemala, au Salvador et au Honduras et qui préfigurerait le second tronçon de cette extension du réseau de gazoducs qu’on prétend construire depuis l’isthme de Tehuantepec.

 

C’est ainsi que la prétendue extension de la capacité existante de transport du gaz naturel dans l’isthme, mentionnée à nouveau comme une partie du futur chantier du Corridor interocéanique, a ces antécédents immédiats qui permettent de comprendre la portée et le sens d’une telle extension. 

 

Un certain nombre d’autres gazoducs ou chantiers pour le transport du gaz naturel qui ne traversent pas l’isthme mais qui sont reliés à ce réseau transisthmique, sont le gazoduc Cuxtal Fase 1, la station de compression de Cempoala (Veracruz) et le projet de gazoduc centroaméricain. Les deux premiers ouvrages, actuellement en construction, sont les dernières pièces manquantes pour la connexion du Réseau National de Gazoduc (RNG) avec le gazoduc Mayakan, qui existe depuis les débuts du XXIème siècle. Avec eux, cette articulation permettra le transport de gaz naturel depuis le réseau de gazoducs des États-Unis jusqu’à la péninsule du Yucatán, sachant que la RNG est connectée aux nouveaux gazoducs qui transportent cet hydrocarbure depuis les champs de gaz de schiste des États-Unis jusqu’au centre du Mexique. Ce RNG serait également connecté avec le gazoduc mentionné plus haut de Jaltipán-Salina Cruz, avec son extension connue comme Salina Cruz-Tapachula, et qui se prolongerait même jusqu’à l’Amérique centrale, formant ainsi un réseau articulé de transport terrestre de gaz entre les États-Unis, le Mexique et les pays d’Amérique centrale.

 

Un autre type de projet relié à ces plans d’extension du réseau d’oléoducs dans le sud-est du Mexique est l’installation d’un terminal de liquéfaction de Gaz Naturel Liquide à construire dans le port de Salina Cruz. En novembre 2014, quelques mois après la publication des lois secondaires de la Réforme Énergétique de 2013, un fonctionnaire de Pemex annonça, lors d’un événement dans l’état du Texas, l’intention de chercher des associés stratégiques pour développer un projet de terminal d’exportation de GNL, qui ferait partie d’une seconde phase du projet connu comme Ceinture transocéanique. Un projet qui prévoyait d’augmenter le transport d’énergie dans le but de traiter et d’exporter vers l’Asie et l’Océanie, le gaz naturel qui est extrait dans le golf du Mexique. En juillet 2019, le directeur des Opérations de l’actuel DFC des États-Unis, annonçait son intention de financer à hauteur de 250millions de dollars la construction d’une usine de liquéfaction de gaz naturel au sud du Mexique. 

 

Comme on le voit ces projets pour le transport des hydrocarbures cherchent à tirer profit de la situation géographique stratégique de l’isthme de Tehuantepec comme passage interocéanique possible et lien entre le sous-continent nord-américain et l’Amérique centrale ; mais ils cherchent aussi à profiter de la proximité de la zone de la plus grande production d’énergie fossile du Mexique. Dans leur ensemble le sud de l’état de Veracruz, le nord de l’état de Chiapas, l’état de Tabasco et les eaux du sud du Golf du Mexique représentent la zone du pays qui a la plus importante capacité d’extraction et de réserves prouvées d’hydrocarbures. Cette zone, connue sous le nom de cuencas del sureste, est celle où le plus grand volume de pétrole a été extrait dans l’histoire du pays, dépassant de loin les autres provinces y compris celle de Tampico-Misantla où historiquement a commencé l’extraction nationale du pétrole et qui est parvenue à avoir les puits les plus productifs du monde au début du XXème siècle. De la même manière, dans le cas du gaz naturel, les bassins du sud-est sont ceux qui ont maintenu l’essentiel de l’extraction historique à l’échelle nationale. Pour ce qui concerne l’extraction, la SENER signale que, en 2017, 81,2 % de l’extraction du brut dans le pays et 56,9% de l’extraction du gaz naturel provenait des puits situés dans cette zone et c’est aussi là où se trouvent 75% des réserves prouvées (1P) d’hydrocarbures qui ont été évaluées. S’ajoutant à cette présence de ressources fossiles, dans la proximité de l’isthme, existe aussi la concentration de la transformation industrielle de ces dernières : en 2017, 30% de la production pétrolière du pays provenait de cette région. Cette concentration augmentera dans les prochaines années quand deviendra opérationnelle la septième raffinerie du pays à Dos Bocas (Tabasco) dont la construction a commencé en 2019. Pour ce qui est, également, de la production de l’industrie pétrochimique, la région en concentre la plus grande part à l’échelle nationale, au point que, en 2017, elle est parvenue à représenter 92% du total des produits pétrochimiques primaires produits dans le pays.

 

Enfin, si ce texte ne les décrit pas, ne les analyse pas plus en détail, il est important de ne pas omettre les centrales de production électrique et ses réseaux de transmission régionale qui son reliés au Système d’Interconnexion Électrique des Pays de l’Amérique Centrale (SIEPAC) et à son Marché Electrique Régional (MER). Récemment a débuté la construction de l’interconnexion de ce réseau du SIEPAC avec le sous-continent sud-américain grâce à une ligne de transmission, qui traversera la frontière Panamá-Colombie, et qui s’ajoute à l’interconnexion électrique existante entre le Mexique et le Guatemala, grâce à laquelle sera configuré un système intégré de transmission électrique à l échelle continentale. En plus de ce réseau de transmission relié au sud du continent, existent également des projets pour connecter, par une nouvelle ligne de transmission, la zone sud de l’isthme de Tehuantepec avec le centre du Mexique. Cette zone de l’isthme concentre 90% de la génération d’électricité produite par éolienne du pays et, en dépit de la densité des turbines éoliennes installées jusqu’à ce jour, elle continue à être un espace d’un grand intérêt pour les entreprises qui cherchent à investir dans la construction de nouveaux parc éoliens de grande échelle. 

 

C’est ainsi que, si à l’ensemble des réseaux de transport d’hydrocarbures nous ajoutons la construction actuelle de l’usine de raffinage située à Dos Bocas en Tabasco, et la modernisation des raffineries de Salina Cruz et Minatitlán, la région élargie de l’isthme de Tehuantepec deviendra la zone la plus importante de production de produits pétroliers du pays, en plus d’être la plus importante de production pétrochimique. L’ensemble des ces industries, ajoutées à la génération régionale, font de l’isthme et de ses environs la zone de production et de transformation d’énergie la plus grande du Mexique, qui a pour objectif l’exportation vers d’autres régions du pays ou vers le marché mondial. De cette façon, en plus d’être le passage terrestre le plus court sur le territoire mexicain entre les deux plus grands océans de la planète, elle est aussi une zone qui possède d’autres caractéristiques qui lui confèrent une position stratégique au centre de la géographie de l’accumulation de capital sur le sous-continent nord-américain.

 

 

El Colectivo GeoComunes accompagne les peuples, les communautés, les quartiers ou les organisations de base qui dans leur lutte pour la défense des biens communs ont besoin de la production de cartes pour leurs analyses et leur diffusion, dans le but de consolider, en partant de la base, l’organisation collective. geocomunes.org

 

 

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