Santé publique : La pluie, associée à la baisse des ressources financières, tend à raviver le choléra

23/05/2012
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A
Alors que le nombre de nouveaux cas en décembre 2011 était d’environ 300 par jour dans tout le pays, un centre de traitement (Ctc) dans la capitale Port-au-Prince a reporté 95 cas de choléra par jour à la mi-mai 2012.
 
Et les chiffres devraient continuer d’augmenter, selon les projections des institutions spécialisées dont a pris connaissance l’agence en ligne AlterPresse.
 
Depuis le début de l’épidémie, à la mi-octobre 2010, jusqu’à fin avril 2012, au moins 7,112 personnes sont décédées et plus de 536,943 ont été contaminées par cette maladie, transmissible par l’eau et introduite en Haïti par les casques bleus népalais.
 
Plus d’un Haïtien sur 20 a été, à date (mai 2012), infecté.
 
« Entre la première et la dernière semaine du mois d’avril (2012), le nombre de patients a augmenté par trois fois » dans la capitale, confie Gaëtan Drossart, directeur de la mission Médecins sans frontières (Msf).
 
« Sur les 4 structures que Msf soutient, nous avons eu plus de 1,600 patients, uniquement durant le mois d’avril (2012) » dans la zone métropolitaine de la capitale Port-au-Prince. Un des centres de traitement du choléra de Msf est situé dans un quartier résidentiel, plus précisément dans la commune de Carrefour.
 
Le « centre » est en réalité composé de 250 lits d’appoints à l’intérieur d’une demi-douzaine de tentes, dans lesquelles règne une chaleur étouffante. La plupart des lits étaient occupés cette semaine (fin mai 2012).
 
Ressources en baisse
 
La diminution des financements pour lutter contre le choléra, le manque de moyens du ministère de la santé publique et de la population (Mspp), les problèmes de coordination et l’incapacité de s’attaquer aux causes sous-jacentes de la propagation de la maladie, font qu’Haïti souffre maintenant de l’une des pires épidémies dans le monde depuis des dizaines d’années.
 
Le premier mai 2012, le bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (sigle anglais Ocha) a placé le taux national de décès au dessus de 3%, le plus haut taux depuis le déclenchement de l’épidémie.
 
De même, entre 200,000 et 250,000 personnes de plus vont probablement contracter la maladie durant l’année 2012, prévoit l’organisation panaméricaine pour la santé (Ops).
 
Le choléra s’est aussi répandu en République Dominicaine voisine. Le 4 mai 2012, 23,347 personnes ont déjà été infectées, tandis que 399 sont décédées.
 
Même si tous les acteurs savaient que la saison des pluies, en cette année 2012, serait synonyme d’augmentation des cas, la quantité de Ctc a chuté précipitamment depuis le début de l’épidémie.
 
Alors qu’en janvier 2011, il y avait 101 centres dans tout le pays, aujourd’hui ils ne sont plus que 30.
 
Le nombre d’acteurs a aussi diminué
 
Msf est l’une des seules organisations non gouvernementales (Ong), toujours impliquées dans la lutte contre le choléra.
 
L’organisation française a traité environ un tiers des cas depuis le début de l’épidémie, selon les chiffres fournis par Msf.
 
La plupart des Ong, ayant répondu à l’appel quand la maladie s’est déclarée, sont reparties depuis longtemps.
 
La quantité d’Ong, qui travaillaient sur le choléra, a chuté de 128 en janvier 2011 à juste 48 à peine 6 mois plus tard, indique une étude récente du Washington – based Center for economic and policy research.
 
« Prenant pour excuse le manque de financement pour la lutte contre le choléra, ils ont réduit leurs effectifs, disparu, battu en retraite, transférant leurs activités au gouvernement », explique Dre. Louise Ivers, membre de l’Ong Zanmi Lasante (ZS) (« Partners in Health » en anglais) basée aux États-Unis d’Amérique en juillet 2011.
 
Ce « transfert » signifie que les Ong toujours présentes – ZF, MSF, et plusieurs autres – doivent combler le vide du mieux que possible, témoigne, en réalité, Dre. Ivers, constatant que le budget du ministère de la santé est « minuscule ».
 
Interviewé en février 2012 à propos du « transfert », le Dr. Claude Surréna du ministère a admis que le gouvernement « n’a pas les moyens pour gérer les centres de traitement du choléra (Ctc) ».
 
« Nous savons que le ministère de la santé Publique (Mspp) connaissait déjà pas mal de difficultés avant [l’arrivée du] choléra. Les ressources humaines sont inégalement réparties sur le territoire : elles sont trop peu, les salaires ne sont pas payés régulièrement », relève Drossart de Msf.
 
Dans de nombreux Ctc, gérés en effet par le gouvernement, le personnel et les travailleurs de proximité au sein des communautés n’ont pas été payés depuis plusieurs mois.
 
Par exemple, au seul Ctc à Gonaives, l’une des plus grandes villes d’Haïti, 12 employés sur 15 n’ont pas été payés durant les quatre derniers mois.
 
Le budget du ministère haïtien de la santé est minime, comparé à celui de ses voisins.
 
Les dépenses totales de santé en Haïti par habitant étaient de 71.00 dollars américains (US $ 1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 61.00 gourdes aujourd’hui), révélait, en 2009, l’organisation mondiale de la santé (Oms).
 
Pour la République Dominicaine, le chiffre était de 495.00 dollars. En Jamaïque, il était de 383.00 et au Guatemala 337.00 dollars à la même date. .
 
Le gouvernement Haïtien exclu par les donneurs
 
Plus significativement, presque tout l’argent humanitaire, levé pour la lutte contre le choléra, a été donné à des acteurs non gouvernementaux.
 
Sur les 140 millions de dollars (une estimation), donnés et dépensés en 2010 et 2011, pour installer et recruter du personnel pour les Ctc, et pour assurer la prévention par le biais d’initiatives, comme l’aide au public et la distribution de savons et de tablettes de chlore, seulement 5 millions environ ont été remis au gouvernement, montrait une étude récente, menée par le bureau étasunien Zanmi Lasante, « Partners in Health ».
 
Le gouvernement des États-Unis d’Amérique, qui a déboursé environ 50 millions, n’a pas donné un seul dollar au gouvernement haïtien.
 
« En général, seulement un tiers des prestations de santé à Haïti sont délivrées par le secteur public », précise l’auteur de l’étude.
 
« Plutôt que de créer des systèmes de prestataires de santé parallèles privés, qui assèchent les ressources du secteur public, les donneurs et les Ong devraient travailler en collaboration avec le gouvernement haïtien... »
 
« Les besoins de financement sont vastes, et cela comprend aussi le financement pour embaucher, former et engager du personnel ; fournir les provisions essentielles, médicaments, équipements ; retirer les barrières financières pour les pauvres ; et rénover et faire fonctionner les cliniques et hôpitaux délabrés ».
 
Mais jusqu’à présent, l’argent peine à arriver
 
Plus tôt en 2012, Dr. Claude Surréna a dit déplorer le manque d’engagement pour la santé de l’administration du président Joseph Michel Martelly.
 
« Je pense que tout le monde est au courant. Quand le nouveau gouvernement a établi ses priorités, il a parlé des quatre E (Économie, Éducation, Emploi, Environnement), mais pas de S (pour Santé) », a confié Dr. Surréna.
 
Le manque d’engagement existe aussi au niveau international.
 
L’Ocha a demandé aux donneurs internationaux 231 millions de dollars pour l’action humanitaire en 2012, avec environ un montant de 70 millions de dollars, levé pour la santé, l’eau et les projets sanitaires. Au premier mai 2012, seulement 14% de cette somme a été obtenue.
 
Mettre de côté l’approche « pansement »
 
Il faut néanmoins noter, et tous les acteurs le reconnaissent, que le financement humanitaire d’urgence et l’action d’urgence ont leurs limites.
 
« Nous fonctionnons encore dans une dynamique d’urgence. C’est-à-dire, les fonds vont être alloués au moment où l’urgence est déclarée. Donc, ça veut dire : une fois que le pic est passé, les enveloppes des bailleurs de fonds s’arrêtent », explique Dr. Drossart de MSF.
 
« Il y a la prévention qui est très importante. L’eau, l’assainissement, l’hygiène, c’est quelque chose qui requiert des fonds continus et une attention continue ».
 
Nigel Fisher, coordinateur pour les Nations Unies de l’action humanitaire en Haïti, est d’accord avec ces propos.
 
« En tant qu’acteurs humanitaires, faisant face au choléra, l’action que nous menons, c’est un peu comme une action pansement qui va dans tous les sens », a reconnu Fischer dans une interview, en date du 3 mai 2012, avec le « News Centre » des Nations Unies.
 
L’action humanitaire est finalement de « court terme » et la solution de long terme tient dans « un investissement pour de meilleures sources d’eau potable et pour une gestion des déchets », a ajouté Fisher.
 
« Les gens vont aux toilettes un peu partout – les déchets sont souvent mélangés aux sources d’eau potable », deplore Fisher, constatant que seulement un tiers des Haïtiennes et Haïtiens ont accès à une eau potable saine et que seulement 17 % ont accès à des latrines et autres moyens sains de gérer les déchets.
 
Le coût, estimé pour construire un système d’eau et de sanitaires adéquat « a augmenté de 746 millions à 1,1 milliard de dollars », selon l’organisation panamericaine de la sante (Ops)
 
L’Ops a rejoint, en janvier 2012, le centre pour le contrôle des maladies des États-Unis d’Amérique (U.S Center for disease control / Cdc), le fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) et l’Oms pour appeler à une « Hispaniola sans choléra ».
 
Un pas crucial, selon le groupe, serait « un plan détaillé et une chronologie pour des infrastructures pour l’eau, les sanitaires et l’hygiène ». [jr bd kft rc apr 24/05/2012 10:09]
 
Notes.
 
Une lettre, qui circule dans le Congrès américain, demande à l’ambassadrice américaine aux Nations Unies, Susan Rice, d’exhorter les autorités de UN « à jouer un rôle central rôle dans la lutte contre la crise » du choléra.
 
« Les autorités U.N. devraient travailler avec le gouvernement d’Haïti et la communauté internationale pour faire face au choléra et, en définitive, pour éliminer cette maladie mortelle en Haïti et le reste de l’île d’Hispaniola ».
 
Un manque d’actions ne va pas seulement conduire à plus de décès, mais minerait les efforts cruciaux pour reconstruire Haïti et posera une menace permanente pour la santé publique aux pays voisins », explique la lettre du sénateur John Conyers Jr.
 
Une autre lettre, signée par plus de deux douzaines d’Ong et groupes de pressions, de la plupart des États-Unis d’Amérique, demande aux Nations Unies de « prendre les devants » pour trouver les 746 millions à 1,1 milliard de dollars nécessaires pour la construction des systèmes d’eau et d’assainissement en faveur d’Haïti.
 
« Les Nations Unies peuvent facilement payer pour ces solutions permanentes au choléra » dit Mario Joseph, directeur de Bureau des avocats internationaux (Bai) , basé en Haïti.
 
Le Bai a récemment déposé une plainte contre l’Organisation des Nations Unies (Onu) au nom des victimes du choléra.
 
« Si l’Onu écourte le mandat de la mission de ‘maintien de la paix’ pendant tout juste un an, cela permettrait d’économiser 800 millions de dollars. Moins de bottes sur le terrain, et davantage de puits dans le sol, permettraient d’économiser des dizaines de milliers de la vie chaque décennie. Ce sera vraiment du ‘maintien de la paix’ »
 
 
- Jane Regan et Betty Désir avec Ayiti Kale Je, P-au-P, 24 mai 2012 [AlterPresse]
 
https://www.alainet.org/es/node/158364
Suscribirse a America Latina en Movimiento - RSS