Le poids de la tradition dans l’exercice du droit par les femmes

11/09/2012
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La perception, selon laquelle les professions de l’avocature et de la magistrature seraient, par essence, masculines, continue de servir de blocage aux femmes qui évoluent dans le système judiciaire ou qui souhaitent l’intégrer, selon des informations recueillies par AlterPresse, au cours d’une série d’entretiens.
 
« Les obstacles, oui, il y en a eus, il y en a encore et il y en aura. Parce que, normalement, il y a des filières qui sont traditionnellement réservées aux hommes. Et le droit, malheureusement, fait partie de celles-ci », soutient l’avocate Mona Jean, dans une interview accordée à l’agence d’information en ligne AlterPresse.
 
Dans l’exercice de leur profession respective, avocates ou femmes juges font face à certaines barrières qui exigent un surplus d’effort.
 
« Quand une femme doit intégrer la profession d’avocat, (..) il faut qu’elle soit suffisamment avisée et qu’elle ait une certaine confiance en elle, pour savoir qu’elle est une personne, tout en ayant à l’esprit que l’infraction, tout comme l’intelligence ou la compétence, n’ont pas de sexe », ajoute l’avocate Mona Jean, qui a déjà une dizaine d’années d’exercice dans la pratique de l’avocature.
 
Choisir d’appartenir à la famille haïtienne des magistrates et des avocates suppose, avant tout, la nécessité de faire la démarcation entre la professionnelle et les activités socialement attribuées aux femmes.
 
Et, par-dessus tout, c’est être en mesure de « remettre en question les tabous, les préjugés intériorisés, les affirmations qui n’ont pas de base logique, scientifique et compréhensible », signale l’avocate.
 
Quand le mâle fait loi
 
Mais, même en dépassant ces premières barrières, tout n’est pas gagné.
 
Les femmes dans le métier doivent souvent affronter la condescendance de leurs collègues masculins, qui les affublent de défauts et de titres sexistes.
 
Quand « une femme arrive à s’imposer dans un secteur traditionnellement masculin, on le traite de femme autoritaire, vindicative » et on l’accuse d’être « toujours sur la défensive », explique Me. Mona Jean.
 
« Madame », « chérie » sont des appellations utilisées par les hommes, pour s’adresser aux avocates et juges, non sans une pointe de condescendance.
 
Et, dans le cas de celles qui ont choisi de devenir juge, l’appellation officielle garde le genre masculin.
 
L’usage voudrait qu’on dise « madame le magistrat ou madame le juge ou magistrat tout court » (et non madame la magistrate ou madame la juge ou magistrate), explique à AlterPresse le directeur de l’école de la magistrature de Port-au-Prince, Kesner Michel Thermesi.
 
Tout ceci n’est pas sans conséquences.
 
Les femmes sont ainsi contraintes de hausser le ton face à ce refus latent de leur présence.
 
Murielle Chéristyl, une juge à Hinche (dans le département du Centre), signale combien elle est parfois obligée de se « comporter comme un homme » et « on est obligé de le faire comme ça », dit elle.
 
De plus, le poids de la tradition et la crainte des pressions du métier poussent certaines licenciées en sciences juridiques à préférer les organismes non gouvernementaux ou le secteur bancaire.
 
Entre 1997 et 2010, l’école de la magistrature a déjà gradué 4 promotions de juges, estimées à environ 150 gradués.
 
Seulement 29 femmes font partie de la liste des 150 gradués en 13 ans.
 
Le droit, chemin possible
 
La dernière phase des examens d’admission à la magistrature (la phase orale) aura lieu les jeudi 13 et vendredi 14 septembre (2012. L’examen oral a eu lieu les 23 et 24 août (2012), selon Me. Thermesi.
 
Kesner Michel Thermesi affirme encourager les femmes à intégrer la magistrature, car « il est plus difficile de corrompre une femme », estime t-il.
 
En Haïti, pour devenir avocate ou magistrate, il faut d’abord obtenir une licence en sciences juridiques, ensuite réussir le concours de l’école du barreau pour devenir avocate ou de celle de la magistrature pour devenir femme juge.
 
Après 5 ans, une avocate peut devenir une juge, si le chef de l’État la nomme par arrêté présidentiel.
 
Selon la loi du 15 novembre 2007, la formation pour devenir magistrate ou magistrat dure normalement 16 mois.
 
« Mais si le ministère de la justice estime qu’il y a urgence, on peut écourter cette formation à 8 mois », souligne Me. Thermesi à AlterPresse
 
L’étude à l’école du barreau ne dure normalement que 6 mois, selon les informations du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Carlos Hercule.
 
Après le barreau, elles et ils passent deux années dans un cabinet pour obtenir un certificat, attestant qu’elles et ils sont des professionnelles ou professionnels.
 
Des luttes qui ont tout changé
 
Au départ, exercer le droit comme métier, tout comme jouir de ses droits comme citoyennes, n’étaient pas permis aux femmes.
 
Tout cela, il y a moins d’un siècle !
 
À ce moment-là, les femmes étaient paradoxalement considérées comme des mineures et ne pouvaient, en aucun cas, jouir de leur capacité juridique.
 
Il a bien fallu attendre la signature (le 17 juillet 1980), et la ratification (le 20 juillet 1981) par Haïti de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
 
Un décret, en date du 8 octobre 1982, a, au préalable, permis aux femmes de jouir pleinement de leur capacité juridique.
 
Ertha Pascal-Trouillot est la seule femme, à date, à avoir été présidente de la république dans toute l’histoire du pays. Elle a été une juge à la Cour de cassation, qui a dirigé provisoirement Haïti, du 13 mars1990 au 7 février 1991.
 
Une autre figure emblématique, qui a marqué l’avocature, est la défunte Mireille Durocher Bertin, assassinée le 28 mars 1995 dans la capitale haïtienne.
 
 
https://www.alainet.org/fr/articulo/161063
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