Le Groupe de Lima : la voie non démocratique

17/04/2018
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Foto: fmlibre.com.ar
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L’Amérique latine reste en dispute géopolitique. Le Groupe de Lima en est le résultat. La conformation de ce bloc de 12 pays américains (Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay et Pérou) a eu lieu le 8 août 2017. La raison d’être de ce nouveau groupe est l’intention d’éliminer deux autres espaces de la région, l’UNASUR (Union des Nations de l’Amérique du sud) et la CELAC (Communauté des États latino-américains et caraïbes). Devant une OEA (Organisation des États américains) agonisante et une Alliance du Pacifique qui n’arrive pas à décoller, le Groupe de Lima est la formule choisie comme instance politique régionale pour instaurer l’ordre conservateur.

 

L’Histoire se répète. Le gène de naissance de ce nouvel espace géopolitique est l’intention d’isoler le Venezuela de la même façon que l’OEA avait isolé Cuba. Le Groupe de Lima nait pour adhérer aux États-Unis et à l’Europe dans leur croisade anti-Venezuela. C’est-à-dire, la région américaine avait besoin de tenir sa propre arme pour détruire le Venezuela de la même manière que les deux autres blocs occidentaux. La OEA n’y était pas parvenue parce qu’elle s’est délégitimisée depuis plusieurs années et parce qu’elle n’a jamais pu obtenir le nombre de votes suffisants pour un résultat effectif. En conséquence, on a créé ce nouvel espace sans aucune base légale mais qui part d’une solide coïncidence : aller chercher à l’extérieur ce qui n’a pu s’obtenir par la voie interne démocratique.

 

De la même façon qu’avec l’Alliance du Pacifique, les États-Unis n’apparaissent pas comme membre explicite du Groupe de Lima. C’est une modalité différente utilisée au 21e siècle pour créer de nouveaux espaces supranationaux en Amérique latine mais sous tutelle du Nord. La croissante image négative que les États-Unis se sont gagnés parmi les citoyens latino-américains ces dernières années, les oblige à sortir de la photo. Ce sont des temps nouveaux mais avec les mêmes vieilles intentions.

 

L’objectif concret du Groupe de Lima est de mettre un point final au gouvernement chaviste du Venezuela par la voie non démocratique. La forme directe sera la non reconnaissance de Nicolas Maduro comme président s’il est le vainqueur des élections du 20 mai prochain. Cela implique, dans un sens strict, ne pas reconnaître la démocratie d’un pays membre latino-américain ni sa souveraineté. S’inaugure ainsi une dangereuse dispute ouverte dans la région sur ce que signifie la démocratie. Et voilà le véritable méta-objectif du Groupe de Lima : être à la fois juge et partie dans la région, notaire des autres en fonction de ses propres critères et intérêts. Ils peuvent ainsi pontifier sur ce qu’est la démocratie et ce qu’elle n’est pas. Et à partir de là, mettre sur pied leur pression, leur rupture des relations diplomatiques et approfondir le blocus commercial et financier. Tout cela dans la seule intention d’altérer l’ordre politique par la voie non démocratique, non électorale.

 

Une autre bonne piste pour savoir ce qu’est le Groupe de Lima est son silence devant l’emprisonnement de Lula pour le retirer de la course électorale par des méthodes non démocratiques. Il n’y a pas eu de réaction et il n’y en aura pas. Dans le cas du Brésil, le degré de démocratie se mesure avec d’autres critères. Peu importe que l’actuel représentant du Brésil, Michel Temer, n’a pas été élu. Ou que le nouveau président péruvien Vizcarra ne soit pas non plus passé par les urnes. Le sens de la démocratie pour ce Groupe est si « light » qu’il n’y a aucune préoccupation pour cette donnée : le pourcentage moyen de soutien dans les urnes des présidents membres du Groupe est de 16,47 %. C’est-à-dire que seulement 16 de chaque 100 électeurs possibles de chaque pays ont élu ceux qui, aujourd’hui, commandent un groupe qui donne des leçons de démocratie…

 

En définitive, ce nouveau groupe répond à une nouvelle phase historique de l’intention d’une restauration conservatrice. Ce qui ne s’obtient pas par les urnes s’obtient par d’autres voies. Le Groupe de Lima exprime de cette manière un autre paradigme dangereux des relations extérieures pour la région, basé sur une position qui va à l’encontre des principes internationaux de la reconnaissance à la libre auto-détermination des peuples. L’ingérence non démocratique est la voie choisie par ces nouveaux gouvernants aux dépens de l’incitation au dialogue. Cela suppose un grand recul pour l’intégration régionale qui rappelle de tristes traces du passé le plus lugubre. Qui nous assure que le Groupe de Lima ne cherchera pas à ne pas reconnaître la prochaine présidence de Evo Morales si il gagne à nouveau en Bolivie ? Le Groupe a-t-il émis un signe concernant l’inconstitutionnalité du referendum en Équateur ? A-t-il déposé une réclamation devant le manque de papiers de vote lors des dernières élections en Colombie ? Le Groupe se prononcera-t-il s’il y a une nouvelle fraude électorale au Mexique contre López Obrador ? Certainement pas. Certainement, la démocratie leur importe bien peu quand la proposition est autre.

13 avril 2018

 

(Traduit par Jac Forton)

 

- Alfredo Serrano Mansilla, Docteur en Économie, est directeur du Celag (Centre stratégique latino-américain de géopolitique).

 

 

 

https://www.alainet.org/es/node/192318
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