La communication, nouvel axe de résistance

18/06/2002
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Le processus de globalisation, depuis les temps de la colonialisation jusqu'à la phase actuelle de globalisation économique et financière, a motivé la recherche de technologies qui permettent la communication à distance. Du télégraphe aux réseaux électroniques, ce développement a répondu tout d'abord aux besoins des secteurs du pouvoir ; mais il s'est ensuite étendu à un usage plus généralisé, avec pour conséquence que la technologie intervient toujours plus dans la communication d'aujourd'hui entre les êtres humains. Dans la pratique, cette évolution a suivi une double tendance : d'un côté, une tendance à une plus grande ouverture et une plus grande participation dans les processus de communication, et, de l'autre, une tendance à une plus grande concentration de son contrôle. Pour le secteur -minoritaire- de la population mondiale qui a accès à ces technologies, ce développement technologique signifie, sans aucun doute, des possibilités inédites de communiquer d'un bout à l'autre du monde, d'accéder à des sources inépuisables d'information ou de diffuser de l'information à de larges audiences. Mais il a signifié en même temps l'émergence d'une puissante industrie transnationale de la communication qui s'est placée au-dessus de toute possibilité de contrôle démocratique. Industrie qui non seulement contrôle les canaux, mais qui est également en train d'accaparer une part croissante de la production et de la diffusion de contenus, ce qui revient à une expropriation de la faculté des peuples à participer aux processus de communication sociale qui donnent forme à leurs sociétés respectives. De même que dans d'autres domaines, les secteurs économiquement et socialement marginalisés sont ceux qui subissent la plus grande exclusion sur ce plan, raison de plus pour qu'ils revendiquent le droit à la communication comme un droit humain fondamental. Cette préoccupation est présente au sein du mouvement des femmes qui, très tôt, a eu l'intuition de ce que la communication jouait un rôle clé pour dépasser la discrimination sexiste et renforcer le pouvoir des femmes. Non obstant, avec l'importance stratégique qu'a pris cette problématique ces dernières années, il est devenu évident dans presque toutes les sphères de l'activité humaine que les réponses d'hier ne suffisent plus face aux nouvelles réalités. De nouveaux défis se présentent et de nouvelles alliances s'imposent. Le droit à la communication Si la communication intelligente et le dialogue sont des facultés humaines indispensables pour donner forme aux idées, pour partager les savoirs, développer des cultures et vivre en société, alors il est évident que la communication est un droit fondamental de l'humanité qui doit pouvoir s'appuyer sur les garanties correspondantes. Le concept de « Droit à la communication » a été posé il y a déjà quelques trente ans par Jean d'Arcy qui le proposa comme une extension du droit à l'information, en prévoyant que le « droit à la liberté d'opinion et d'expression », tel que défini dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ne suffirait pas à répondre à la nouvelle réalité communicationnelle qui s'annonçait. Le droit à la communication, dans ce sens, renvoie à un concept de communication comme processus interactif, dialogique et participatif, à la différence de l'information qui renvoie surtout à des flux unidirectionnels. Il s'agit cependant d'un droit qui est encore en cours de formulation et de revendication et qui n'a pas été consacré par des actes internationaux. L'académicien néerlandais Cees Hamelink, pour sa part, propose un cadre de formulation qui englobe des droits dans le domaine de l'information, de la culture et des droits de protection, collectifs et de participation. Parmi les nouveaux besoins qui surgissent avec l'expansion rapide des nouvelles technologies d'information et de communication dans des domaines comme Internet, la téléphonie mobile ou encore la surveillance et la sécurité, il serait urgent de renforcer les cadres légaux pour la protection de la vie privée des citoyens. Il est préoccupant de percevoir plutôt la tendance inverse : les gouvernements sont en train de chercher à lever les protections existantes au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Propositions de genre Les propositions et les luttes en matière de communication ne sont pas une nouveauté pour le mouvement des femmes qui a identifié depuis longtemps la relation entre la diffusion médiatique et la perpétuation de valeurs et d'attitudes discriminatoires. Les fronts de luttes ont englobé les images négatives et stéréotypées des femmes dans les médias et dans la publicité, leur absence de visibilité en tant qu'émettrices d'opinion ou agents de changement, le langage sexiste et la discrimination contre les professionnelles de la communication. Plusieurs de leurs propositions ont finalement trouvé un écho dans les autres mouvements émergents, comme ceux des minorités éthniques et autres groupes discriminés : peuples afro et indigènes, mouvement gay et lesbien, entre autres. Les femmes ont également joué un rôle important dans le lancement des initiatives de « media literacy » -apprentissage de la lecture des médias- pour développer une attitude plus critique, particulièrement chez les enfants, face au bombardement d'images médiatiques. Avec la généralisation des nouvelles technologies de communication, de nouvelles propositions et de nouvelles initiatives sont apparues, qui revendiquent pour les femmes -et l'ensemble des citoyens- le droit à être des sujets actifs de la communication, et non pas de simples spectatrices et réceptrices de messages et d'images, et qui reconnaissent que l'appropriation des nouvelles technologies est un élément stratégique du renforcement des femmes. Les organisations de femmes, dans le cadre de la Conférence mondiale de la Femme de Beijing en 1995, ont été parmi les premières à formuler des propositions dans lesquelles la démocratisation des nouvelles technologies d'information et de communication n'est pas seulement une question d'accès à la technologie, mais également de formation à l'utilisation et de participation aux décisions sur le développement de ces technologies. Initiatives convergentes Des médias alternatifs ou féministes, des radios communautaires, des groupements professionnels de journalistes, des conférences mondiales de l'ONU, des initiatives d'alphabétisation médiatique, des actions contre la publicité sexiste, des forums électroniques sur Internet, sont quelques uns des espaces où les membres des mouvements de femmes se sont regroupés, parfois avec des mouvements mixtes, pour mettre en question le modèle dominant de communication, formuler des propositions ou développer des actions pour démocratiser la communication et lui donner une perspective de genre. Mais, bien souvent, ces initiatives sont restées isolées ou dispersées et leur impact assez faible face à un panorama en si rapide évolution. Dans le contexte de la globalisation des processus communicationnels, les réponses locales ou partielles doivent se rapprocher dans des mouvements globaux, pour gagner en force et en impact. Récemment quelques espaces globaux d'action sont apparus, qui offrent la possibilité d'aborder ces problématiques de façon large et complète. L'un d'eux est la Campagne pour le Droit à la Communication dans la Société de l'Information (CRIS). Lancée publiquement début 2002, sur l'initiative de divers réseaux et organismes internationaux de communication, la Campagne vise à conscientiser la population et à stimuler le débat sur le droit à la communication, tout en encourageant la mobilisation citoyenne sur le sujet. Plus particulièrement, elle vise à afiner les propositions vis-à-vis du Sommet Mondial de la Société de l'Information organisé par les Nations Unies en deux temps : à Genève en décembre 2003 et à Tunis en 2005. CRIS présente une vision de la « société de l'information » basée sur les principes de « transparence, diversité, participation et justice sociale et économique, et inspirée par l'égalité entre les sexes, entre les différentes perspectives culturelles et régionales ». Cette campagne a lancé une invitation ouverte, particulièrement aux organisations du Sud, à se regrouper avec elle et, depuis le début, plusieurs organisations axées sur la discrimination sexiste en font partie. Une autre initiative en cours, qui a également établi des liens avec la Campagne CRIS, s'est développée dans le cadre du Forum Social Mondial (FSM), sous la bannière « Communication et Citoyenneté ». Elle vise à l'établissement d'un agenda social sur la communication qui mobilise une large gamme d'acteurs sociaux, bien au-delà de ceux qui sont déjà engagés sur le sujet, du fait de l'importance prise par la communication pour les luttes sociales. Il s'agit de construire la résistance vis-à-vis de la situation actuelle, où « les médias et le savoir sont privatisés et aux mains des mégacorporations qui les transforment en marchandises au contenu uniformisé et où l'accès aux moyens d'expression est réservé à une petite élite (majoritairement composée d'hommes blancs du Nord) ». (Recommandations du Séminaire Communication et Citoyenneté, Porto Alegre, janvier 2002). On espère poursuivre cet effort dans un cadre plus large lors du prochain Forum Social Mondial qui regroupera de nombreuses initiatives sur la communication. Démocratiser la communication sera, sans doute, un combat important des années à venir, et les femmes, si longtemps tenues en marge des processus de communication, se trouveront parmi les plus concernés par le sujet. Une question que se pose maintenant le mouvement est jusqu'à quel point donner la priorité à une perspective de genre dans un système qui est en soi profondément inégal (le « mainstreaming »), le défi n'est-il pas plutôt d'assumer le leadership dans la promotion d'un autre type de société de l'information : une société qui soit fondée sur des valeurs de participation, d'équité et de respect de la diversité. *Sally Burch, journaliste britannique qui réside en Equateur, est Directrice exécutive d'ALAI. Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/es/node/108192
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